Nous retournons arpenter la Straa di Vacc, au départ de Cagiogno : une voie romaine au milieu de la forêt. Nous sommes aussi émerveillés que la première fois. Nous dépassons Aleccio pour venir lécher les flancs du Pizzo Cortefreddo. La neige nous arrête un peu avant 1800 d’altitude.
Le ciel est bleu lorsque nous ouvrons les volets. Le contraste entre la couleur du ciel, le vert presque fluorescent des champs aux herbes hautes qui entourent la maison, coupés par les falaises striées de noir et blanc est du plus bel effet.
Au petit déjeuner, confortablement installés devant notre bol de céréales, nous décidons de reparcourir la Straa di Vacc, un sentier construit à la fin de la guerre pour mener le bétail dans les alpages. Le terme de construction n’est pas exagéré : le sentier est pavé sur quasiment toute sa longueur et de nombreux ouvrages en pierre sèche ou bétonnée viennent le consolider et le sécuriser, ou simplement, le faire exister. J’ai en tête de proposer de continuer après Aleccio. Mais je n’en parle pas encore, je verrai comment se goupille la balade.
Nous laissons la voiture à Cagiogno, au départ du sentier.
Alors que nous sommes en train de nous chausser arrive une Fiat Panda ornée d’un gyrophare et d’un mot : carabinieri. En sort un homme qui ignore ostensiblement notre bonjour, attrape son sac et, la mine renfrognée, s’en va sur le chemin que nous empruntons quelques minutes plus tard.
Il fait frais, nous sommes à l’ombre et la montée, même raide, reste agréable.
Tout en marchant, nous ne pouvons nous empêcher d’imaginer le labeur qui fut nécessaire à la construction de cette voie.
Lorsque le vide devient trop présent, des murs permettent d’éviter qu’une vache ne soit prise d’une soudaine envie d’apprendre à voler.
Nous mangeons notre première barre à Boschetto, un petit groupe de maison que nous n’avions pas vu lors de notre précédente visite. Adossés au mur d’une étable restaurée, le soleil dans le dos séchant la laine mouillée, nous savourons l’instant.
Le sentier continue dans la forêt. Les feuillus sont encore bien présents et les feuilles de l’automne passé recouvrent le terrain, rendant nos pas bruyants et parfois incertains de ce que nos semelles vont trouver.
A Bee, les maisons sont désertes. Pas une âme qui vive ou une cheminée qui fume.
Stefano me parle d’un sentier qui s’éloigne un moment de notre itinéraire pour mener à un ancien four à chaud. Eventré et béant, il ne subsiste qu’une demi-voûte.
A moins de 5 mètres, de l’autre côté du sentier, une falaise de 3 à 4 mètres, portant encore de grandes traces de lacération, fut vraisemblablement utilisée pour l’approvisionnement. Des malins, ces Walser !
Le sentier continue. Un coup d’œil au GPS confirme qu’il rejoint le sentier principal. Après une belle portion large et plane, il s’élève dans le flanc de la montagne par lacets étroits successifs, parfois, à peine tracé. Nous entendons le fracas de l’eau qui dévale dans la gorge en contre-bas. Par deux fois nous consultons le GPS pour nous faire une idée du reste à faire. En levant les yeux, nous apercevons un mur de soutènement. Le sentier !
Nous traversons le torrent Rio d’Alba, beaucoup plus impétueux que lors de notre précédent passage. Nous apprécions les câbles sécurisant la traversée.
Ses couleurs nous font penser à des pools de Yellowstone.
Il dévale furieusement du Pizzo di Bronzo, alimenté par les neiges, tombées récemment, qui fondent au moindre rayon de soleil.
A l’approche de l’Alpe Aloro, et des 5 ou 6 étables dont certaines reconverties en maison d’habitation, nous sommes accueillis par une bonne odeur de viande grillée. MC décèle même une odeur de poivrons grillés. Nos papilles commencent à frétiller et nos glandes salivaires nous inondent la bouche. Oh, les amis… du calme. Il ne va rien se passer ! Nous croisons un homme en train de couper du bois, celui-là même qui, dans quelques minutes – il est quasiment midi – s’assiéra à table pour découper son morceau de viande juteux et tendre. Y’en a vraiment qui ont de la chance.
Nous rejoignons la route goudronnée puis prenons une piste qui nous amène à Aleccio.
Ici, nous sommes encore en banlieue d’Aleccio.
Pour la collation de midi, nous montons nous installer sur la terrasse du local des fêtes. La vue y est magnifique. Entre temps, les nuages sont arrivés et masquent par intermittence le soleil.
Comme il encore tôt, je reviens sur ma petite idée de départ et propose à Stefano de monter encore, en direction du Passo del Forno. Nous savons pertinemment que nous ne pourrons l’atteindre en raison de la neige et de l’heure tardive. Mais l’objectif est de rallonger la balade et de découvrir de nouveaux paysages, en profitant pour nous mettre quelques mètres de plus de dénivelé dans les mollets. Car, il nous faut toujours mériter le repas du soir.
La route goudronnée s’arrête. Le sentier a été élargi à grands coups de bulldozer et terrassé par de gros blocs de pierre sur quelques dizaines de mètres. Plus loin, nous arrivons à l’Alpe Colla.
A notre grande surprise, au sortir de l’alpage, nous retrouvons le sentier pavé vraisemblablement construit à la même époque que la Straa di vacc. Ou peut-être est-ce son prolongement ? Nous marchons ainsi en suivant le sentier, avec comme idée de pousser jusqu’au prochain alpage. Nous contournons sans difficulté une première plaque de neige. La seconde n’est pas loin. Les suivantes s’enchainent sans trop perturber notre avancée. Nous sortons de la forêt. Une grande traversée se dessine.
Les flancs enneigés et abrupts du Pizzo Cortefreddo sont intimidants.
Devant nous, une cascade se fracasse sur les rochers. Le torrent traverse le sentier. Le gué est recouvert de neige. Il ne nous en faut pas plus pour nous dire qu’il est temps de faire demi-tour, même si le GPS nous montre que l’alpage est à bout touchant. Nous sommes déjà super contents d’avoir pu arriver jusque-là d’autant que le sentier, bien que large, est par endroit exposé. Nous rebroussons donc chemin.
A l’Alpe Colla, deux trailers montent la pente d’un pas vif. Elle est maquillée comme pour aller en boîte de nuit et lui est au téléphone. Ils nous semblent hors contexte.
De retour à Aleccio, Stefano fait un tour du côté de la chapelle. L’hommage aux huit jeunes emportés dans une avalanche en 1933 n’est plus. Nous entamons le chemin du retour et décision est faite de repasser par le Muro del diavolo. Cet itinéraire nous emmène beaucoup plus à l’ouest et nous parvenons au mur par une succession de routes, pistes, et sentiers assassins, très souvent transformés en ruisseau.
Par égard pour le propriétaire de la maison adjacente au mur, nous restons sur la route.
Arrivés à Crego, nous évitons soigneusement l’embranchement qui nous aurait fait reprendre le sentier alternatif emprunté l’année passée et que nous avions jugé sans aucun intérêt en plus d’être mal tracé.
Bien en prend car nous découvrons quelques mètres plus loin, une magnifique église à l’architecture surprenante.
Une dame est en train de préparer des bouquets de fleurs pour l’autel. Nous approchons. Arrive un monsieur fort joyeux avec lequel Stefano entame la discussion en dialecte. Il m’avouera néanmoins plus tard, un peu penaud, que le dialecte du monsieur et le sien sont un peu différents.
Cette église fut construite sur un éperon rocheux entre 1852 et 1878 par un seul homme, Don Lerenzo Dresco. Outre ses talents de sculpteur de pierre – l’église est entourée d’un péristyle de 48 colonnes, Don Lorenzo Dresco y officia en tant que curé durant 26 ans. Ici, dans le village, il est considéré comme un saint.
Chaque pierre du parapet qui supporte les colonnes est gravée.
A l’intérieur comme à l’extérieur.
Un panneau annonce Cagiogno à 55 minutes. Très rapidement, nous nous retrouvons sur une route bétonnée qui n’est autre que le coffrage d’une conduite forcée. Par endroit, le sentier reprend ses droits.
Nous ne sommes pas certains qu’elle continue à transporter de l’eau. Elle est totalement silencieuse.
Nous retrouvons le Rio d’Alba. Fascinée, MC avoue pouvoir rester des heures à contempler l’eau qui dégringole par vague successive avec un bruit effroyable.
Les dernières centaines de mètres se font dans une forêt que Stefano décrète enchantée.
Le long du vieux chemin, des ruines d’habitation se dressent encore au milieu d’énormes blocs de rochers.
Nous arrivons à la voiture à 18h pile. Il fait encore chaud.
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Près du four à chaux.
A Aleccio, à la pause casse-croûte.
Au bas de la chute du Rio d’Alba.