Uhuru Peak

C’est le grand jour : l’ascension du somment du mont Kilimandjaro, et plus précisément Uhuru Peak, à 5895 mètres d’altitude.

23h30. Nous sommes réveillés par le guide des Croates alors que ceux-ci devaient partir plus tard  que nous … Nous attendons un peu puis Stefano sort. Il revient, goguenard : « J’ai réveillé tout le quartier des guides et porteurs en hurlant Godfrey ! Innocenti ! Godfrey ! Innocenti ! ».

Godfrey se pointe 10 minutes plus tard, pas rancunier pour un sou, le sourire aux lèvres. Nous ne partirons pas à 23h30, comme initialement prévu… Africa time

Stefano avale deux Clif Bars, moi je n’ai pas faim. Les Croates sont d’un naturel généreux : ils nous offrent eau chaude, tasses propres et ce qu’on veut pour mettre dedans : poudre de chocolat et sucre en abondance.

Innocenti se pointe avec les boissons chaudes alors que nous sommes sur le point de partir…

Ah, pour information, voici un conseil reçu sur place (et appliqué à la lettre) : il n’est pas indiqué de boire du café avant l’effort qui nous attend car à priori la caféine risque de faire monter le cardio.

Nous avons superposé les couches. Sur les jambes, en ce qui me concerne, un caleçon thermique, mon pantalon Odlo doublé et un pantalon de pluie Rekka imperméable mais respirant. En haut, deux mérinos, une polaire, une softshell, ma Patagonia  en avant-dernière couche et enfin ma Gore-Tex Mammut que j’aime. Bonnet, écharpe et moufles. Je suis parée. Stefano est habillé plus ou moins pareil, sauf que son pantalon de pluie il le gardera peu de temps car il est peu respirant et du coup il transpire.

Nous partons vers minuit, un peu avant, un peu après, je ne sais pas… Je n’ai pas pensé à regarder l’heure. Le groupe de suisses allemands est devant, les Croates sont derrière, à quelques encablures.

On pourrait croire qu’il neige, mais non, c’est de la poussière.

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Godfrey est devant, je le suis, puis vient Stefano et Eric qui ferme la caravane. Godfrey et Eric n’ont pas de sac à dos, ils sont les mains dans les poches.

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La lune est presque pleine. La frontale est presque superflue.

Je perds la notion du temps… Il fait nuit, je me colle dans les pas du guide. Avancer… Ne pas s’arrêter.

Stefano m’a laissée partir devant afin que je donne le rythme. Je ne souffre donc pas, mon cardio reste dans des intervalles raisonnables. Je prends un premier shot, puis un second… le troisième aura du mal a passer. En fait je n’ai pas faim, je n’ai pas soif. Cependant, je bois régulièrement pour éviter que le mal de tête que je sens à l’affût ne s’installe.

Godfrey est malade et plus d’une fois s’arrête pour vomir. Eric passe devant et Stefano, qui ronge son frein (il me dira plus tard qu’il a trouvé le rythme trop lent), reste derrière avec lui.

Eric est passé devant moi. Il danse. À chaque pas qu’il fait, il se déhanche. C’est assez drôle. Godfrey nous dira que c’est sans doute pour se réchauffer. C’est vrai que leurs vêtements sont assez approximatifs.

J’ai mal à l’épaule. Je range les bâtons (nous avons failli en perdre un d’ailleurs). Ma progression devient difficile. Stefano le sait. Il me dit une première fois : « donne ton sac à Eric« . Fière, je refuse. À la seconde tentative, je capitule. D’autant que la pente s’est faite plus raide… Il faut maintenant s’aider des mains.

Nous nous arrêtons maintenant régulièrement, une minute ou deux, pas plus, pour reprendre notre souffle. À plusieurs reprises, nous fermons les yeux et les ré-ouvrons soudainement lorsque nous sentons que nous perdons l’équilibre. Sans nous endormir debout, nous plongeons dans une sorte de torpeur.

Le temps passe. Nous gagnons de l’altitude. Un premier replat… Je pense que nous avons atteint Gilman’s point mais… je regarde plus loin que le bout de mes pieds et voit que la montée n’est pas finie. Un petit train de frontales… Peut-être les suisses allemands.  Nous sommes à Johannes Notch.

Je rebaisse le yeux, je me recale dans les pas d’Eric et j’avance.

5h00… Nous atteignons Gilman’s point. 5681 mètres au dessus du niveau de la mer. Le plus dur est fait. Je ne peux retenir des larmes de joie. Si je suis arrivée ici, nul doute que j’arriverai au sommet.

Je repense à ce jeune américain blond avec qui nous avons partagé le petit-déjeuner hier matin. Ama la vida. « S’il vous reste un soupçon d’énergie, alors il faut pousser jusqu’au sommet ». Il me reste plus qu’un soupçon d’énergie. Je reprends même mon sac à dos (par fierté, mais chuuuuuuuuuuuut, il ne faut pas le dire).

Stefano me donne une Clif Bar. J’en retrouverais tout à l’heure la moitié dans ma poche. Je n’ai pas faim. Je ne me rappelle pas l’avoir mis dans la poche.

Avancer. Ne pas s’arrêter.

Le plus dur est fait… Plus que 5895 moins 5681 mètres à monter. Nous sommes maintenant sur la crête du volcan. À gauche, la plaine, Moshi, Arusha… À droite, le cratère. Quelques spots de neige. Une tranchée dans la neige. Le passage est étroit. Ne pas tomber. Ce n’est pas à cause du danger (il n’y en a pas) mais je ne suis pas certaine de pouvoir repartir ensuite.

5h59m24s… L’horizon devient rouge. Le soleil se lève.

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Dix minutes avant 6h. Nous sommes à Stella Point, à 5755 mètres. Un sentier, la Mweka Route, rejoint notre sentier et pendant 5 minutes c’est la pagaille. Nous sommes au moins 20. Puis le flot se dissout.

Nous voyons au loin notre objectif. Je n’essaie même pas d’évaluer la distance. Je marche comme un robot, les bras ballants, les yeux rivés au sol. Tout est lointain.

Le glacier est maintenant visible.

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Stefano lève les bras… Plus que quelques centaines de mètres. Une question de minutes.

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Nous sommes à nouveau seuls…

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Plus pour longtemps. Devant nous, un panneau vert, encombré. Yes, nous y sommes !

Une seconde fois je laisse s’échapper quelques larmes. Stefano me prend de ses bras. Il me dit « tu me fais pleurer ». C’est un de ces instants où plus rien n’existe autour. Nous sommes seuls avec notre joie et notre fatigue. C’est magique.

Il est 6h54.

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Nous nous frayons chemin à travers la foule (bon le terme foule est exagéré certes) pour que Godfrey puisse prendre une photo. Il a l’habitude. Il négocie. Nous les suivons, un peu hagard.

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Il y aura un épisode un peu désagréable, avec un polonais très agressif. Disons qu’il était fatigué (quoique la fatigue n’excuse pas tout).

Nous ne traînons pas. Nous nourrissons nos guides et pensons déjà au retour.

Le soleil est maintenant franchement levé…

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Nous regardons autour de nous… Le cratère est maintenant bien visible.

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7h30. Nous nous mettons en route et disons au revoir à Uhuru Peak. Qui sait, peut-être que nous reviendrons un jour ?

Même si nous ne gambadons pas en sautillant, les premiers pas en descente sont étrangement légers. La descente va être longue, mais s’avère facile. L’altitude ne se fait plus (ou du moins moins) sentir.

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Nous croisons des gens. Nous les regardons marcher, tels des zombies, le regard vide, le visage inexpressif, le pas mécanique. Nous savons qu’il y a quelques heures, nous marchions tel qu’ils marchent.

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Nous avons remis notre cerveau en route et pensant à prendre quelques photos.

Ici, Stella Point.

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La tranchée dans la neige, dont je parlais précédemment.

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Nous sommes vraiment sur la crête.

Une bifurcation.

Oups, nos guides ont disparu. Ils sont partis devant et nous ne voyons plus personne.

Nous nous arrêtons. Même si notre cerveau s’est remis en marche, nous ne sommes pas en pleine possession de nos moyens : réfléchir et s’orienter sont des notions complètement étrangères. Nous les attendons en nous disant que, lorsqu’ils ne verrons personne, ils reviendront sur leur pas. 10 minutes passent, personne. Nous avons le temps, ce n’est pas grave. 15 minutes. Godfrey revient nous chercher, un grand sourire aux lèvres.

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Gilman’s Point.

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À partir de là, la pente s’accentue. Nous voyons au loin, très très loin, Kibo…. Wouah !

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Je me rends compte que mes mains ont quasiment doublé de volume ainsi que mes jambes. Les pantalons me serrent. C’est très bizarre comme sensation.

Pour descendre, deux solutions. Soit suivre le sentier « officiel » par lequel nous sommes montés, qui zigzague allègrement, soit couper tout droit et descendre en courant dans le pierrier et la poussière. Godfrey tente de nous faire accepter la seconde solution.

No way. Par principe, nous refusons de couper les sentiers car cela provoque des dommages et facilite l’érosion. Eric s’y colle donc et se met devant, suivant consciencieusement les « méandres » du sentier. Godfrey, lui, descendra tout droit, s’arrêtant régulièrement pour nous attendre.

Il est 10h34.

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Innocenti et les porteurs nous attendent au-dessus du camp avec du thé et un goûter. Je décline l’offre. Depuis que nous sommes partis, je ne me suis pas arrêtée pour un quelconque besoin physiologique. Autant dire que je file direct au camp.

Le mal de tête s’est installé depuis longtemps. Un de ces maux de tête accentué par chaque battement de cœur. L’épicentre ou plutôt les épicentres : derrière les yeux.

Il faut que j’enlève mon pantalon de pluie. Les fermetures éclairs résistent. Waterproof, déjà à l’état normal, elles ne sont pas faciles. Avec toute la poussière que nous avons ramassé c’est mission impossible. Je me bagarre un moment, puis je capitule. Je m’assieds sur un rocher. Impuissante, désespérée, je me mets à pleurer. Je me rends compte que ça ne sert à rien et du ridicule de la situation mais impossible de lutter. Stefano arrive. Il ne se pose pas de question. Il me prend par la main, me relève et m’emmène dans la chambre, m’allonge sur le lit, me recouvre de deux sacs de couchage. Je grelotte. Dans un état second, j’entends et je vois un ranger qui rentre dans la chambre, aux nouvelles. Il discute avec Stefano lui demandant s’il faut envisager une descente avec les secours. Je proteste. Du repos, un aspirine et ça devrait aller. Je réalise que je n’ai rien avalé depuis… longtemps. Innocenti me propose de l’eau sucrée ou plutôt du sucre à l’eau. Je m’endors…

J’entends vaguement les Croates qui rentrent.

12h30. Le déjeuner est servi. Les cinq lits sont occupés. Ils dorment tous.

Ragoût de pommes de terre, carottes, haricots, petits-pois. Yummy! Ce déjeuner restera gravé dans ma mémoire.

Stefano me dit qu’il a croisé Irina et Vlad, et que nous avons leurs félicitations. Je vais les voir avant de partir. Nous sortons et faisons une photo tous les quatre. Irina nous promet de nous l’envoyer.

Et Irina et Vlad tiendront leur promesse. Le 17 mars, nous recevrons un courriel de leur part avec :
– la photo
– des nouvelles : eux aussi ont réussi leur ascension. Well done guys! Congratulations!
– 
une multitude de liens pour préparer des balades aux environs de Boise – Idaho. Thank you very much!

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Nous nous mettons en route pour Horombo aux alentours de 13h15. Godfrey a insisté pour prendre mon sac. Ce retour fait l’objet d’un autre billet.

Autoportraits du jour

Il est 1h18.

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Au sommet…

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En redescendant de Uhuru Peak.

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Références externes

En anglais

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À propos de Marie-Catherine

Randonneuse, blogueuse et photographe amateur chez Two Swiss Hikers.

En phase de préparation de voyage, je m'occupe du choix voire de l'achat du matos et organise les bagages. Ma principale activité consiste à me réjouir des vacances qui arrivent ! Je deviens plus active au retour : il faut trier les photos (et des photos, il y en a...) et rédiger les billets de ce blog.

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