Il est 2h du matin quand le réveil sonne. Nous avons eu un peu de peine à nous endormir et la nuit a été donc plus que courte. Mais nous nous levons pleins d’énergie, enthousiastes et excités à l’idée d’une belle et longue randonnée du South Rim au North Rim, au terme de laquelle nous devrions dormir au North Rim.
Comme prévu, nous garons la voiture sur l’aire de pique-nique soigneusement repérée hier. Pas un nuage dans le ciel. Pas de lune non plus. Le ciel est constellé d’étoiles. C’est magnifique.
3h35. Stefano met le logger en route et nous partons. Il fait frais, comme prévu. Impossible de se passer de la veste. Tant pis, nous nous arrêterons plus tard pour l’enlever.
Marcher de nuit est très particulier. Le champ de vision est réduit. Les sensations sont plus intenses car il y a moins d’éléments de distraction. Les courbatures d’hier ont disparus. Nous sommes en pleine forme et notre joie est perceptible.
Au loin, une petite lumière clignote. Notre objectif : le North Rim Lodge.
Notre premier arrêt se fait à Cedar Ridge, une heure plus tard. Nous rectifions le serrage des chaussures Il fait encore trop frais pour enlever les vestes.
Un peu avant 6h, le ciel commence à s’éclairer.
L’ombre du relief se profile à l’horizon.
A 6h10, nous sommes à la jonction avec le Tonto Trail.
Avec surprise, nous apercevons une tente, et deux personnes à l’extérieur qui viennent vraisemblablement de se lever. Ils ont l’air frigorifié et s’accrochent à leur duvet. Nous n’échangerons qu’un salut. Nous ne saurons jamais ce qui les a poussé à s’arrêter ici.
Nous rangeons nos frontales.
Juste avant la dernière descente (ce que j’ai appelé dans un billet précédent la dernière marche), le Colorado se dévoile.
Nos jambes ont droit à un peu de répit. C’est presque plat sur une centaine de mètres.
Nous croisons une famille de bichettes. La maman et deux bébés. Les oreilles de ces derniers sont démesurées. Nous avons même l’impression qu’ils ont de la peine à les contrôler et à les dresser. Très drôle.
Le Black Bridge, illuminé par les premiers rayons du soleil. Il est 7h15.
Le tunnel, et son entrée voûtée, décorée de pierres.
Le pont. Le soleil est déjà bien présent. Nous espérons qu’il sera encore suffisamment bas pour ne pas inonder de ses rayons le canyon qui mène au Cottonwood campground et appelé à juste titre The box. Sinon, nous risquons d’avoir chaud.
Au point d’eau, assis sur « nos » pierres en train de faire sécher nos pieds et nos chaussettes. Il est 7h46. Nous sommes partis depuis un peu plus de 4 heures.
Le camping et Phantom Ranch se réveillent.
Les cabines de Phantom Ranch sont robustes mais élégantes.
Un dernier ajustage du serrage de chaussures…
et nous voilà partis à l’assaut de The Box.
Le soleil est encore bas. Seul le haut des parois est éclairé.
Le premier pont.
Nous nous faisons dépasser à plusieurs reprises par des amateurs de trail running. C’est fou ce que l’activité s’est développée depuis notre dernier passage (pas celui de juillet, celui de 2014).
Le second pont.
The Box, c’est une section au dénivelé très faible qui serpente tout droit sur près de 8km entre deux falaises étroites en suivant les méandres du creek. En été, la température atteint des records et nombreux sont ceux ou celles qui ont dû être secourus. Le matin, le soleil chauffe d’abord une paroi, l’après-midi l’autre alors que la précédente est tout doucement en train de restituer la chaleur accumulée. Les faces des falaises sont relativement lisses et brillantes et le phénomène de réverbération intensifie encore la chaleur. Nous avions expérimenté le résultat de cette joyeuse combinaison en 2012. Alors que nous campions au Bright Angel Campground, le vent s’était levé. Suivant les contours de The Box, il s’était d’abord soigneusement et longuement chargé de chaleur et arrivé vers nous, il nous avait enveloppé d’une intense chaleur, au point que nous avions eu l’impression d’être devant un sèche-cheveux géant.
Mais aujourd’hui, rien de tout cela. Nous sentons parfois la chaleur du soleil lorsqu’il frappe une paroi mais c’est sporadique et nous restons à l’ombre.
Le troisième pont.
Le soleil se fait plus insistant.
Le 4ème et dernier pont de The Box. Petit à petit la gorge va s’élargir ainsi que notre champ de vision.
Voilà. Le soleil nous a rejoint et nous avons sorti lunettes et chapeau.
Il est 10h. Nous sommes en route depuis 6 heures et 30 minutes. Un œil averti remarquera le poteau téléphonique qui se détache sur le ciel bleu. Construite en 1934 par les CCC, elle relie le South Rim au North Rim sur 29 km. N’hésitez pas à cliquer ici pour voir quelques photos d’époque illustrant la construction de la ligne téléphonique et des sentiers du Grand Canyon.
Nous croisons des randonneurs qui nous annoncent un geyser à un mile. Quoi, un geyser ? Ils nous expliquent : la conduite forcée qui mène l’eau de Roaring Springs au South Rim est trouée et laisse passer de l’eau. Ah, cette conduite d’eau. Déjà, en 2014, elle avait éclatée quelque part et tous les points d’eau à part celui de Phantom Ranch étaient fermés.
Voilà encore un pont. Mais il ne compte pas, il est en dehors de The Box.
Le « fameux » geyser. On nous avons annoncé une hauteur de 15 pieds et une douche gratuite, mais la douche est facilement évitée. Quant au 15 pieds (soit environ 4,5 mètres), les gars, ils étaient un peu de Marseille !
Derrière nous, au fond, tout au fond, le South Rim.
Et devant nous, quelque part le Cottonwood Campground. Le North Rim est encore trop loin pour que nous le voyions.
Par endroit, le sentier se rapproche du creek et la végétation en profite pour venir nous chatouiller.
La photo suivante donne une assez bonne idée de la hauteur du North Rim. La roche blanchâtre indique la strate finale et supérieure.
Là, c’est déjà haut, mais nous sommes loin de la fameuse strate blanche.
Les Cottonwood trees du camping.
Nous choisissons un emplacement libre et nous installons. Au menu, séchage de chaussettes et de chaussures, Clif Bars et un peu de repos. Nous ne sommes pas vraiment fatigués mais nous savons qu’il est sage de donner un peu de répit aux pieds.
Nous envoyons également un message SPOT, peut-être d’ailleurs LE message SPOT du jour. Qui sait si ce soir nous y penserons ? Nous sommes à chaque fois épatés de la précision de la géolocalisation. C’est EXACTEMENT là où nous étions !
40 minutes plus tard, nos deux CamelBak remplis, nous repartons pour la troisième partie de la balade : la montée finale.
Encore un pont. Il marque vraiment le début de la montée.
Et pour monter, ça monte !
Nous faisons une mini-pause au dernier point d’eau (celui du Supai Tunnel est fermé) et dépassons les Roaring Springs.
Le sentier devient aérien et exposé.
Nous n’osons pas imaginer les conditions dans lesquelles il a été construit.
Au terme d’une petite descente bienvenue, nous passons le dernier pont. Il est 14h22.
A partir de là, la pente s’accentue encore. Oui, oui c’est possible ! Une succession interminable de switchbacks vient nous rappeler que la montée au North Rim se gagne à la sueur du front.
Nous avons localisé le Supai Tunnel et à chaque fois que je lève les yeux, je constate qu’il a encore reculé, le vilain.
A 14h57, il est en vue ! 40 minutes dans la vie d’un randonneur ce n’est rien. Mais là, nous en avons apprécié chaque seconde.
La vue depuis le Supai Tunnel. En bas, le pont.
A partir de là, nous savons que nous avons encore 2 miles et des poussières avant d’arriver sur le rim.
Couleurs d’automne et surtout, surtout, roche de couleur blanche non loin !
Ici aussi, le sentier est abîmé par le passage de mules. De gros troncs, mis en travers, le retiennent.
Nous arrivons au niveau des aspens, ces arbres au tronc blanc dont le feuillage prend une jolie couleur jaune d’or à l’automne. Nous y sommes presque.
Done ! Cette fois, nous n’oublions pas de faire un autoportrait. Il est 16h05.
Un peu après avoir passé le dernier pont, nous nous sommes fait dépasser puis avons dépassé à plusieurs reprises un couple de jeunes hikers. J’ai même dit à Stefano : « Hum, je les verrais bien jouer aux chauffeurs de taxi ». C’est que du départ du sentier jusqu’à l’hôtel il y a en tout cas 2 miles. Et nous n’avons pas du tout l’intention de le faire à pied ! A un moment, ils nous ont semé et nous nous sommes dit : zut ! Mais nous les avons dépassés à nouveau à proximité du sommet. Alors que nous sommes en train de nous couvrir (un méchant vent frisquet souffle et nous sommes trempés), ils arrivent. Stefano n’hésite pas une seconde et demande. Nous essuyons d’abord un refus, puis ils réfléchissent, palabrent entre eux et acceptent. Yes! Nous marchons une centaine de mètres jusqu’à leur voiture car le parking est petit et donc très rapidement plein. Ils nous font de la place et nous partons. Ils s’appellent Sam et Gina. Ils sont du Wisconsin et font leur première tournée des parcs nationaux. Demain ils partent à Zion. Ce soir ils dorment à Kanab. Même si nous les faisons dévier de leur route (c’est d’ailleurs pour cela qu’ils avaient initialement refusé), ils insistent pour nous déposer pile-poil devant l’entrée du lodge. You deserve it, nous disent-ils.
Alors que nous sommes en train de photographier le magnifique panneau annonçant le Visitor Center, une charmante dame nous propose de nous prendre en photo. Nous acceptons l’offre avec enthousiasme. Voilà, Two Swiss Hikers heureux et aux visages souriants.
Nous prenons possession de notre chambre. En discutant avec la personne à l’accueil du check-out qui aura lieu tôt dans la nuit, elle nous demande si nous avons besoin de nous faire déposer au départ du sentier. Nous levons un sourcil, un autre, et elle nous annonce avec un grand sourire qu’il y a un service de navette gratuit. La première part à 3h30. Parfait ! Nous nous inscrivons sur une liste vide comme le néant. Demain, il y a de grandes chances que nous soyons les seuls fous à partir si tôt.
Ce n’est pas une cabine mais bien une chambre. Devant, une terrasse et un banc. En face, une forêt avec des écureuils qui courent partout afin de rassembler leurs dernières provisions. Le North Rim Lodge ferme dans 10 jours et d’ici la fin du mois l’hiver va s’installer. Nous buvons béats un déca bien chaud alors que le soleil nous réchauffe le visage quelques minutes avant de se cacher définitivement. L’air est froid et nous ne regrettons aucune des couches que nous avons amenées. Layer up, layer up! Nous séchons nos tees-shirts du jour au sèche-cheveux car nous en aurons vraisemblablement besoin cette nuit. La chambre n’est pas chauffée et les couvertures sont très très fines.
Lorsque j’ai réservé la nuit, j’ai été trop confiante et ai trop tardé à réserver le dîner. Notre dîner sera servi à 20h45. Il nous reste près de 2 heures. Nos yeux se sont lourds. Nous optons pour une sieste. Les téléphones transformés en réveil (deux, c’est toujours mieux que un) nous tirent d’un profond sommeil.
Nous ne lésinons pas sur le dîner. Pain cuit au feu de bois trempé dans l’huile d’olive pour commencer, escalope de poulet accompagnée de champignons, d’asperges et d’un riz à la saveur incroyable. Seul petit bémol : nous nous serions bien passé de la panure recouvrant la viande (trop sophistiquée pour nos palais). Nous renonçons au dessert. Et c’est le ventre rebondi que nous rentrons à la chambre. Demain, une autre longue journée nous attend. Mais nous sommes tout aussi excités et impatients qu’hier de la commencer. D’autant que là, ce sera une première pour nous.
Flore du jour
Bon techniquement, un champignon n’est pas une fleur, mais disons que c’est un végétal. Je l’ai trouvé près du point d’eau, à Brigth Angel. Tout petit, tout frais, caché à l’ombre d’une pierre (de « ma » pierre), il est à croquer.
Là aussi, techniquement, ce n’est pas une fleur… mais un cactus à piments ! Joli, non ?
Enfin, une vraie fleur.
Leur durée de vie est extra-courte, inversement proportionnelle à leur nocivité. Elle est capable de tuer du bétail ou même des humains.
Autoportraits du jour
Ils sont un peu éparpillés de ce billet, mais celui, c’est à la jonction avec le Tonto Trail.
In the Box.