Partis d’une recommendation trouvée sur le net, nous nous retrouvons face à un sentier au milieu de nulle part, qui semble aller nulle part… Une vieille bicoque, un bassin de béton, de vieux tuyaux rouillés, une eau tiède et un peu trouble… Voici les ingrédients qui ont fait de notre baignade à Seljavallalaug, LE moment fort de notre séjour en Islande.
Lors de la préparation de ce voyage, j’ai consulté plusieurs listes des 10 meilleurs endroits pour se baigner dans des sources d’eau chaude. Quelques noms ressortaient systématiquement sur chacune des listes, comme le Blue Lagoon, éliminé d’office et Seljavallalaug. Contrairement à Stefano qui aime passer des heures et des soirées entières à préparer nos vacances dans l’Ouest américain, j’ai ajouté le point comme POI sur le tracé GPS du jour sans vraiment aller voir ce qui se cachait derrière. Il faut dire que mes soirées sont souvent occupées à mettre à jour ce blog, à préparer mes cours de BodyPump ou encore à écrémer ma boîte à courriel. Dire qu’à la retraite nous aurons encore moins de temps !
Alors que ce soir nous dormons à Hof, au pied du Vatnajökull, plus à l’est que Vik, nous repartons vers l’ouest en direction de Reykjavík et donc forcément nous repassons non loin de Skógafoss. Quelques kilomètres plus loin, une route, la route n° 242, part vers le nord. Après quelques centaines de mètres, elle se rétrécit jusqu’à ce qu’un bovi-stop signe l’arrêt du revêtement en goudron. Deux ou trois kilomètres plus loin, la route s’élargit à nouveau puis s’arrête. Le parking. Terminus, tout le monde descend. Stefano et Luana gardent leurs chaussures de randonnée et moi mes Keens. Quand je peux éviter d’avoir les pieds prisonniers de chaussettes et de chaussures, je ne me prive pas.
Le sentier se dirige vers le fond d’une vallée. Nous avons beau écarquiller les yeux, nous ne voyons rien qui ressemble de près ou de loin à une piscine. Que du vert, du vert à l’infini, entrecoupé de chutes d’eau et couronné de nuages.
Au bas de cette photo, les plantes vertes un peu plus foncées sont des Lupinus nootkatensis, ces plantes invasives, introduites dans les années 1940, dont je parlais lors d’un billet précédent. Si elles devaient s’étendre et recouvrir le fond de cette vallée, puis les pentes, ce paysage magnifique s’en trouverait défiguré. On comprend mieux les velléités d’éradication de certains islandais.
Mais dans quel guet-apens sommes-nous tombés ? Où est donc la source d’eau chaude à ne manquer sous aucun prétexte ?
Nous croisons deux gars. Je leur demande s’il y a vraiment quelque chose. L’un me regarde, un sourire en coin et répond de manière énigmatique : maintenant que vous êtes là, il faut continuer !
Le sentier devient un peu plus technique se transformant parfois en lit de ruisseau lorsque ce dernier n’a pas trouvé mieux.
Puis, soudain, il n’est plus question de ruisseau, mais d’un torrent à traverser, peu profond mais qui a pris ses aises et s’est étalé. Pour moi, c’est un détail et je patauge avec délice dans une eau bien fraîche qui monte jusqu’aux chevilles. Stefano et Luana traversent un premier bras en sautant d’une pierre à l’autre. Le second bras n’offre rien qui ressemble à un gué de près ou de loin. A moins d’être champion de saut en longueur. Nous regardons en aval, prêts à revenir sur nos pas s’il le faut pour trouver un passage. Rien. Nous évoquons un déchaussage éventuel, mais pieds nus, la traversée pourrait être problématique. Luana prend les choses en main et stoppe net les tergiversations. Bien décidée à tester l’étanchéité de ses chaussures, elle se lance. Pour le premier pas elle trouve une pierre. Pour le second, rien, et pose son pied dans l’eau. Pareil pour le troisième. Au quatrième elle retrouve un caillou qui a la mauvaise idée de rouler sous son poids. Retrouvant de justesse son équilibre, elle accélère et hop, la voilà sur l’autre rive, souriante et fière.
La voie est ouverte. Stefano n’a plus qu’à suivre.
Toujours rien, même après une seconde traversée de rivière.
Et puis, sur le côté, un tuyau rouillé qui descend de la montagne. Il est soudé à une sorte de réservoir métallique cabossé, dont la silhouette ressemble à une citerne ou une cocotte-minute. Une autre conduite s’en échappe qui longe le flanc de la montagne. Au loin, nous discernons une bâtisse blanche. Il y a donc bien quelque chose.
Enfin, peut-être, car la bicoque apparaît bien délabrée.
Nous y voilà !
Stefano et Luana sont un peu dubitatifs. L’endroit est vétuste et l’eau n’est de loin pas transparente. Moi, je suis aux anges. Je ne pouvais rêver d’un endroit plus authentique. Je me déshabille à la va-vite, pendant mes affaires sur un porte manteau rouillé, les pieds posés sur un caillebottis de bois qui a vu des jours meilleurs.
L’eau n’est pas chaude, à peine tiède, mais y rentrer ne requiert pas un effort particulier. Luana puis Stefano me rejoignent, hilares. Leur réticence s’est envolée et ils réalisent également la chance que nous avons de vivre un moment pareil et surtout tellement improbable !
Nous nageons quelques longueurs. Le tuyau qui sort de la marmite amène de l’eau plus chaude. Nous nous collons donc au mur, près de l’arrivée d’eau, là où la température est la plus élevée. Notre agitation dérange la vase déposée sur les bords du bassin. De fines particules noirâtres flottent autour de nous. Qu’importe ! Si nous avions voulu un lieu aseptisé, nous aurions choisi le Blue Lagoon. Des gens arrivent. Nous sortons de l’eau, hilares, heureux, joyeux et revigorés.
Nous nous séchons rapidement tout en sachant que la sensation d’être au sec ne va être qu’éphémère. La pluie a repris de plus belle. Mais rien ne pourrait saper notre moral. Nous venons de vivre une expérience incroyable, toute aussi surprenante qu’improbable. A l’heure où j’écris ces lignes, de retour en Suisse depuis plus d’un mois, ce moment reste un moment fort de notre voyage, si ce n’est le plus fort.
Avant de quitter cet endroit magique, un peu d’histoire…
Ce bassin fut construit en 2 jours, en 1922, sous l’initiative de Björn J. Andrésson, nommé professeur d’éducation physique et maître-nageur. Il parvint à convaincre quelques fermiers des alentours de l’aider à construire une piscine, à proximité d’une source d’eau chaude près de la ferme de Seljavellir. En échange, il leur promit des cours de natation gratuits, cours qui devaient commencer trois jours après le début de la construction, 25 personnes étant déjà inscrites. Construite initialement à partir de roche et de tourbe, longue de 9 mètres sur 4 à 5 de large, elle fut remplacée, l’année suivante, par un bassin de béton, long de 25 mètres. Il ne fallut construire que trois côtés, le quatrième utilisant la paroi de la montagne. En 1923, la piscine de Seljavallalaug était la plus grande de tout le pays. Aujourd’hui, chaque petit islandais est tenu de savoir nager avant sa première année d’école.
Mais que fait cette pierre bigarrée au milieu de nulle part ?
Les quelques personnes que nous croisons sur le chemin du retour sont aussi perplexes que nous l’étions à l’aller. D’autant plus devant notre enthousiasme et notre exultation.
Il n’y a plus aucune hésitation lors des traversées… La peur donne des ailes, paraît-il. Mais l’allégresse aussi !
Je ne saurais décrire les derniers mètres, l’arrivée à la voiture et notre départ final vers Hof, notre lieu de villégiature pour les deux prochains jours. Nous flottons dans une espèce de bulle que seules les sensations extrêmes sont capables de créer. Même si ici, s’il ne s’agit pas d’un vol libre, une via ferrata, un saut en parachute, mais simplement d’une baignade dans une vieille piscine à Seljavallalaug…