Après notre incursion d’hier à Painted Hand Pueblo et notre premier contact avec Canyons of the Ancients, la journée est consacrée à la découverte des ruines qui bordent Sand Canyon trail.
Stefano m’offre une grande balade en voiture. Lui dira que nous avons « perdu » 45 minutes. Moi je dis plutôt que j’ai visité la région, confortablement installée, les fesses et le dos au chaud, les yeux grands ouverts et la mobilité du cou très sollicitée. Nous sommes partis en direction de Monticello par la hwy 491, comme hier, mais avons bifurqué à l’ouest bien avant Pleasant View. Stefano m’a parlé de la G road et il est un peu dubitatif car nous sommes bien plus loin dans l’alphabet, à la lettre P.
Le ciel est encore assez dégagé et rien n’arrête le regard. Des champs à perte de vue, cultivés ou non. Des biches, par dizaines, broutant les jeunes pousses vertes qui émergent à peine de la terre rouge récemment labourée. Elles sont beaucoup plus chanceuses que les vaches qui elles ne peuvent pas franchir les clôtures et doivent se résigner à manger du foin sec ou de la broussaille. Nous regardons un troupeau de biches traverser la route puis s’élancer, l’air de rien, pour sauter élégamment une barrière aussi haute que leur garrot. Dans la voiture, les fenêtres fermées, j’entends le long soupir d’une vache, envieuse.
Nous arrivons au départ du sentier. Stefano sort de la voiture, toujours perplexe. Un panneau annonce Canyons of the Ancients. J’ouvre le coffre, ou plutôt je déclenche l’ouverture automatique. Ah, que n’ai-je rêvé d’avoir une voiture, un jour, avec le haillon arrière qui s’ouvre et se ferme sur pression d’un bouton. Combien de fois ai-je dû, les bras chargés de courses, déposer au sol mon fardeau, tâtonner pour trouver la poignée afin de libérer la porte. Puis attendre, plus ou moins longtemps, en fonction de la sensibilité au froid des vérins hydrauliques, qu’elle soit suffisamment haute pour qu’elle ne dessine pas sur mon front une tâche rouge, qui, en plus d’être disgracieuse, s’avère en général être douloureuse.
A peine ai-je attrapé mes chaussures que Stefano lance, penaud : nous sommes au mauvais endroit. C’est à mon tour d’être perplexe. L’endroit semble réunir tous les indices du trail head de notre balade du jour : un panneau, un log book, une voiture déjà garée. Stefano me demande de le rejoindre près d’une carte et me montre un trait dessiné du nord au sud. Nous sommes là, me dit-il, pointant l’extrémité nord du trait. Nous aurions dû partir de là, ajoute-t-il, tapant à plusieurs reprises de son index le bout sud du trait. Entre les deux point, 6 miles de sentier, soit peut-être 4 à 5 miles à vol d’oiseau. Mais 17 miles jusqu’à la G road, la fameuse, en repassant par Cortez, puis encore 10 miles jusqu’au trail head. Résignée, j’attrape la poignée du coffre et la tire vers le bas. Damn it! Elle résiste la bougre, peu habituée à être manuellement sollicitée. Je dois donc patiemment attendre que le mécanisme se réinitialise. Hum, pas si pratique que ça, tout compte fait.
C’est finalement vers 9h30 que nous sommes prêts à partir, chaussures aux pieds, bonnets sur les oreilles et nos mains bien au chaud dans les gants.
Je dois admettre que le trail head du nord était un peu moins équipé.
Nous partons d’un pas alerte vers ce grand bloc de rocher, appelé Castle Rock. Une chaîne nous empêche de nous approcher. C’est qu’ici même se tenait un pueblo de taille respectable, composé d’une quarantaine de pièces, au moins seize kivas auxquels venaient s’ajouter possiblement neuf tours. Rien que ça. Et encore, ce furent les résultats d’une excavation restreinte, entre 1993 et 1994. Nous scrutons au-delà des chaînes et ne voyons rien. Strictement rien. Même pas un petit bout de mur encore debout.
Le détail des travaux d’excavation est disponible sur le site The archeology of Castle Rock Pueblo. Un des papiers s’intitule The Final Days of Castle Rock Pueblo (écrit par Kristin A. Kuckelman) et révèle des détails à vous glacer le sang.
The occupation of the village at Castle Rock came to an abrupt and violent end. Sometime after A.D. 1274, probably in the early to mid-1280s, many of the men, women, and children in the village were killed. Human skeletal remains found during excavations at Castle Rock indicate that at least 41 of the estimated 75 to 150 inhabitants died in an attack on the village. The remains of some victims lay directly on floors, and others were found in collapsed roofing material inside structures. Some, apparently, had been left on top of the butte. None was formally buried, and several concentrations of human bone included the remains of different individuals mixed together.
Substantial direct physical evidence that the villagers died as a result of violence includes skull fractures and other unhealed bone fractures and injuries that occurred around the time of death. There is also evidence that this was not the first conflict involving residents of the village: numerous bones showed healed wounds.
Triste. Les natives de l’époque n’ont pas attendu Christophe Colomb pour apprendre la guerre et s’entre-tuer.
Nous contournons le rocher. Du sentier principal par un faint trail auquel il nous est difficile de résister. En contrebas, un reste de mur nous met dans l’ambiance.
Un peu plus loin, un autre bout de mur à la maçonnerie soignée. La journée promet d’être belle.
Le sable est encore gelé et ferme. Mais inévitablement, avec la chaleur de l’après-midi, une transformation va s’opérer. Ce que viennent confirmer des empreintes de pas des jours précédents, profondément enfoncées dans le sable, et figées par le froid. Au milieu de ces traces, parfois, une longue marque, témoin d’une glissade dont nous ne connaissons pas l’issue.
Comme souvent, au départ des parkings, la fréquentation des premiers kilomètres de sentier est élevée. Il n’y a qu’a voir au Grand Canyon, au départ du Bright Angel trail ou du South Kaibab trail. Le premier kilomètre ressemble aux Champs Elysées, un soir du 31 décembre. J’exagère un peu, mais pas tant que ça. Ici, l’été, ou plutôt au printemps ou à l’automne, ça doit être un peu pareil. Pour l’instant, nous n’avons vu personne mais le sentier est large mais les traces de pas nombreuses. Nous nous en écartons pour nous rapprocher de la falaise car quelques alcôves nous semblent prometteuses.
Et comme vous pouvez le constater, elles sont vides.
Ce qui ne nous décourage pas, le panneau d’information du parking nous ayant promis de belles ruines.
D’autant que les « cailloux », comme dit Stefano, sont très beaux.
Le canyon dans lequel nous évoluons, Sand Canyon, est encore très large et peu profond.
Le petit sentier se détache à nouveau du sentier principal. Ici, ils appellent ça un spur trail. Il y a d’ailleurs un panneau marqué de ces mots, avec une flèche peinte, invitant à l’exploration.
Nichée entre le sol et la falaise en surplomb à 45°, une petite ruine nous attend.
Elle n’est pas extraordinaire, avec sa face éventrée.
Mais vue de profil, elle a un charme certain. Ses murs latéraux épousent parfaitement l’inclinaison de la paroi rocheuse. Ainsi à l’abri, si personne ne la maltraite, elle va rester debout encore des dizaines voire des centaines d’années.
Revenus sur le sentier principal, très vite, nous apercevons de belles formations rocheuses. Si le terrain s’y prête, nous savons que, en général, ces sites étaient privilégiés et souvent choisis pour des constructions.
D’autant qu’un spur trail s’y dirige.
Nous arrivons en face d’un rocher en forme de plat à tajine. Ici, ils comparent cette formation rocheuse à un pommeau de selle. D’où le nom du site : Saddlehorn Pueblo.
L’alcôve abrite deux pièces. La documentation des lieux précise que, 100 pieds au-dessus, sur la pointe du couvercle, ce qui fait environ 30 mètres, se trouvent également deux structures. Nous n’avons rien vu. Elle précise également que certaines des pièces (évidemment, il y en avait plus que deux) étaient utilisées pour la cuisine et le couchage. Il s’agit donc d’une habitation tandis que les constructions au-dessus étaient plutôt à but de surveillance ou de communication. Un kiva fut partiellement excavé puis recouvert à nouveau. Les morceaux de poterie trouvés situent la période d’occupation entre 1250 et 1285 alors que les troncs d’arbres utilisés pour la construction des toits retrouvés sur place sont antérieurs (1228 à 1232). Ils ont proviennent donc d’une autre construction et ont semblent avoir été recyclés.
Le soleil monte gentiment mais surement dans le ciel, réchauffant peu à peu l’atmosphère. Ce qui n’est pas pour nous déplaire. Même si nous savons que bientôt, le sable va dégeler.
Sand Canyon. Nous nous promettons un jour de partir du bas, et d’explorer les niveaux inférieurs.
Au détour du sentier, le terrain décroche d’un niveau. Au fond, une alcôve dans laquelle nous discernons un mur, partagé entre ombre et lumière.
Le sentier se transforme. D’une part car nous passons à l’ombre et que la neige y est plus présente.
Et ensuite car il se rétrécit, se courbe et virevolte pour nous mener en bas.
Nous arrivons à Corncob House.
Sur les trois constructions, une à des coins arrondis. Lors de l’excavation et de l’étude du site en 1965, des rafles de maïs ont été découvertes, accompagnées de deux bandes de feuille de yucca nouées et d’une corde en fibre végétale.
Nous ne pouvons qu’admirer de loin la maçonnerie soignée et les petites pierres incrustées dans le mortier pour le consolider. Et également, j’en suis persuadée, pour l’enjoliver.
L’alcôve voisine abrite Double Cliff House. De par la configuration naturelle de la niche, des constructions ont pu être bâties sur deux niveaux.
L’accès au second niveau devait se faire par des échelles, ou des cordes, ou des ailes ! Les artefacts trouvés lors des excavations – morceaux de poterie et outils de pierre – situent l’occupation des lieux vers 1200. J’imagine des cordes pendant du niveau supérieur, au bout desquelles étaient attachés des contenants, paniers ou pots, pour hisser la nourriture ou même le bois.
Un spur trail part vers le bord du rim et mène à un reste de tour, surplombant le canyon.
En face, de l’autre côté du canyon, une alcôve qui n’attend que nous et qui devra attendre encore un peu. Nous devons réfléchir au moyen d’accéder à l’autre rim, car une partie du canyon appartient à des propriétaires privés.
Nous avons déjà pas mal à faire de ce côté. N’ayons pas les yeux plus gros que le ventre.
Le prochain site s’appelle Sunny Alcove.
Les constructions faisaient toutes plus d’un étage.
Les troncs gisant sur le sol sont très certainement les restes des planchers.
Je m’éloigne du site, me rapproche de la falaise puis reviens en la longeant précautionneusement. Les quelques égratignures dont ont été victimes mes tibias en valaient la peine. La construction autour de l’ouverture est exemplaire.
Je ne sais pas pourquoi mais ce pan de mur avec cette fenêtre si parfaite me fait penser aux maisons en Lego que nous construisions, enfants.
Lors des fouilles, les archéologues trouvèrent, bien sûr, des rafles de maïs mais également 67 fragments de poteries et des morceaux de manos. Le tout éparpillé dans les huit pièces et le kiva qui composent le site. A l’intérieur, dans les murs, des niches remarquablement préservées. A l’extérieur, des loquets de bois près des ouvertures. Ah, que ne donnerais-je pour remonter dans le temps, en l’an 1200…
Le nom du prochain site est un programme à lui tout seul : Tucked away Two Story House. Ouf ! Essayez donc de le dire 10 fois de suite sans trébucher sur un mot…. Plus facile que le célèbre « Les chaussettes de l’archiduchesse sont sèches et archi-sèches », mais si peu !
Tucked away Two Story House ou la maison dissimulée à deux étages. C’est sans doute parce qu’elle est si bien planquée qu’elle est si bien conservée.
Un bijou dans un écrin
Le « trou » sur la face sud, celle éclairée par le soleil, est volontaire et laisse entrer la lumière. Sur la gauche, l’ouverture principale, a été rendue aisément accessible par des marchepieds aménagés dans le mur. Lors des fouilles de 1965, outre des fragments de poterie datant d’environ 1100 – alors que la maçonnerie semble plutôt dater d’un siècle supplémentaire -, les archéologues trouvèrent un grattoir en pierre. Utilisé à la préhistoire en Europe, ce type d’outil permettait, selon le nombre de faces et l’angle des surfaces, d’assouplir la peau des bêtes et d’en enlever la viande.
Un point blanc, seul et parfaitement rond, se démarque sur la roche.
Juste à côté, dans une alcôve en forme d’ellipse presque parfaite, les restes d’un mur laissent vagabonder l’imagination. Son nom ? Wall Curves with Bedrock House.
Les habitants des lieux ont-ils cherché à fermer complètement l’alcôve ?
Que ne donnerais-je pour aller guigner derrière le mur…
Quelques bouts de poterie glanés aux alentours et remis scrupuleusement à leur place après la séance photo.
Nous continuons tranquillement la découverte des sites de Sand Canyon. Nous nous sommes mis en mode exploration mais savons qu’il n’y a aucune chance de trouver quelque chose qui ne figure pas sur une quelconque brochure, papier ou numérique.
Nous parvenons ainsi à House with Standing Curved Wall, le dernier site du sentier.
Sur les trois ouvertures, seule une est une « vraie » fenêtre, les deux autres étant dues aux affres du temps.
Seuls deux morceaux de poterie furent retrouvés ici, en 1965. Ce qui laisse à penser que ce site, comme tous les autres d’ailleurs, a fait l’objet de pillages antérieurs.
13h. Nous poussons jusqu’au panneau qui annonce que le sentier devient plus technique et grimpe de 700 pieds en 0.5 miles. Le tout en zigzags. Ramené en métrique, c’est moins effrayant : 213 mètres de gain sur 800 mètres. Une bonne montée du cardio. Rien de plus.
Nous faisons demi-tour et rentrons doucement, papotant, profitant de l’instant présent. Nos sentiments sont mitigés. Bien sûr, nous avons vu de beaux sites, mais l’excitation de l’exploration et l’anticipation de la découverte ont fait cruellement défaut. Comme prévu, la température est suffisamment élevée pour que le sable ait dégelé. Mais, à part deux ou trois endroits critiques où la plus grande prudence est nécessaire, le retour se révèle agréable.
Nous croisons pas mal de propriétaires de chiens dans leur balade bi-quotidienne et à part une exception ou deux, tous les chiens sont bien tenus en laisse, comme exigé dans un parc national.
Arrivés au parking, nous nous asseyons sur une pierre et décrottons consciencieusement nos chaussures, armés d’une petite branche. Le fignolage se fait dans les quelques plaques de neige encore présentes. Rentrés à Cortez, nous montons rapidement dans la chambre nous laver les mains et repartons illico presto dîner. Et comme la journée a été plutôt tranquille, nous restons sages et optons pour le Dennys et un plat +55. Car oui, inutile de le cacher, nous sommes vraiment dans cette tranche d’âge.
Autoportraits du jour
Au retour, quelque part sur le sentier. Tout d’un coup nous réalisons qu’il y a eu absence totale d’autoportraits. Sur la droite, juste derrière moi, une grande alcôve que nous nous promettons un jour d’explorer…
A Double Cliff House.
A l’arrivée à la voiture.