Magnifique journée sur les bords de Salt Creek, à la découverte de panneaux de pictogrammes et de quelques ruines. Après la tempête d’hier, le beau temps est revenu, pour notre plus grand bonheur.
Hier, 24 décembre 2022
Au réveil, Stefano ouvre les rideaux dévoilant des arbres courbés par le vent et des flocons de neige virevoltant furieusement . Le sol est recouvert d’une belle couche blanche d’environ 10 cm. Les rideaux sont refermés promptement, les lumières éteintes et une petite sieste matinale s’en suit que d’aucuns pourraient qualifier de grasse matinée. Après le petit déjeuner, la météo s’étant encore dégradée, nous laissons tranquillement le temps s’écouler entre lecture et prise de note pour l’écriture des billets du blog. Vers 13h, le ventre vide commençant à grogner et à râler, et aussi un petit peu claustrophobes – la chambre d’hôtel n’est pas exiguë mais pas non plus immense -, nous décidons d’aller déjeuner à Moab. Sur la route, la tempête de neige bat toujours son plein, secouant la voiture de ses bourrasques de vent, et recouvrant la route d’une fine couche blanche, bien glissante. Doucement mais sûrement, nous rejoignons à Moab pour trouver le restaurant thaï choisi portes closes. L’occasion faisant les larrons, nous nous rabattons sur notre restaurant favori, Fiesta Mexicana. Nous faisons ensuite un petit saut à Gearhead Outdoor Store, LE magasin de sport le plus cool de Moab. Nous en ressortons avec quelques Clif Bars au parfum inhabituel, comme par exemple des white chocolate cranberry. Sur le chemin du retour, quelques rayons de soleil éclairent les falaises rouges. Arrivés un peu avant 16h à Monticello, nous passons au Conoco juste avant qu’il ne ferme pour les 2 jours suivants pour faire le plein et acheter un sandwich pour notre repas du soir. Enfin, pour conclure cette veille de Noël, nous regardons un film sur la tablette de Stefano, moitié assis, moitié couchés sur le lit, comme les vrais « djeuns 2.0 » que nous sommes. Le titre du film ? Don’t Look Up ou Déni Cosmique en français. Une parodie cinglante sur le déni face à la lente agonie de la Terre et sur la course aux profits. Meryl Streep est hilarante et Leonardo Di Caprio mémorable. Néanmoins, c’est tellement un peu trop partout que nous arrêtons avant la fin du film.
Aujourd’hui, jour de Noël
Donc, en ce matin de Noël, nous avons une revanche à prendre. Il nous faut compenser la journée d’hier, passée à ne rien faire… Enfin presque.
Sitôt prêts, nous partons pour Needles. Le Glamping campground est aussi désert qu’il y a deux jours. La barrière de Marie’s place est ouverte. Arrêtons-nous un peu sur l’histoire de ce site. Marie Ogden, riche veuve en quête de consolation et d’apaisement, se tourna vers le spiritualisme et puis l’occultisme. Elle fonda un groupe, School of Truth, puis chercha un endroit pour y installer une colonie. Entourée de 21 disciples, Marie Ogden décréta que ce bout de terre au milieu de nulle part serait l’endroit du retour du Christ. Sa douce folie se transforma en démence caractérisée lorsqu’elle persuada la presse locale qu’elle était capable de ressusciter une morte. Ses fidèles la quittèrent et elle se retrouva presque toute seule, donnant des leçons de pianos à Monticello. Elle finit ses jours dans un EMS à Blanding où elle mourut en 1975.
La journée s’annonce magnifique. Quelle contraste par rapport à la journée d’hier ! La lune est même de la partie et la neige s’en est allée comme elle est venue.
Pour arriver au parking de Salt Creek Trailhead, nous passons non loin des résidences des rangers. A peine garés, un pick-up blanc arrive, une ranger au volant. Les visiteurs sont rares en cette période de l’année, surtout ici, loin des attractions touristiques. Sans le mentionner vraiment, elle veut s’assurer que nous savons où aller, que nous sommes correctement équipés et que nous n’avons pas l’intention de camper. Nous restons une vingtaine de minutes à discuter. Nous lui racontons sommairement notre journée d’avant-hier et lui disons qu’à notre grande surprise nous avons vu des camions DHL et UPS circuler. Elle rigole et nous dit que eux, les rangers, n’hésitent pas à commander en ligne et que souvent, d’ailleurs, les livreurs s’arrêtent au ranch d’Indian Creek déposer leurs colis, s’évitant ainsi 32 miles de route. A eux, ensuite, d’aller les chercher. Elle nous fait un peu regretter notre frilosité d’hier en nous disant que, à part quelques gouttes de pluie, le temps fut plutôt correct. Elle repart et nous savons que ce soir, juste avant que la nuit ne tombe, quelqu’un viendra vérifier que notre voiture n’est plus là.
Nous partons d’un pas allègre. L’air est pur, lavé de toute poussière, et la lumière est magnifique. A chaque expirations, de petits nuages de vapeur viennent chatouiller notre nez.
Ce sentier, ou plutôt cette piste, nous la connaissons pour l’avoir empruntée en 2016, lors de notre visite de Tower Ruin et Paul Bunyan’s Potty. Depuis quelques jours nous nous réjouissons de la retrouver, même si les traversées nombreuses de Salt Creek nous avons parfois donné du fil à retordre.
Un véhicule est passé il n’y a pas longtemps et nous profitons des ornières creusées, le sable tassé offrant une surface plus stable. Les branches des cottonwood trees, dépouillés de leurs feuilles, sont blanches et contrastent avec le ciel bleu Utah.
Le creek se révèle beaucoup plus sec que lors de notre dernière visite. Les rives ne sont pas un fouillis de buissons et de branches, ce qui nous permet de progresser à un bon rythme.
Nous reconnaissons au même moment l’endroit où le sentier se divise. D’un côté, il part vers Horse Canyon, la direction que nous avions prise en 2016 et de l’autre il continue de longer le Salt Creek. C’est dans cette direction que nous allons aujourd’hui.
La végétation se densifie. Le sentier reste bien tracé mais en été, avec les jeunes pousses des arbres, l’avancée doit être plus compliquée.
Stefano en train de caresser des rameaux de sagebrush. Les feuilles laissent sur les mains une fine pellicule grasse et odorante. J’approfondis ma connaissance de cette plante au moyen de googling avec sagebrush en mot clé. J’apprends ainsi qu’un plant de sagebrush attaqué par des insectes va émettre des composants volatiles capables d’alerter les plants voisins. Ces derniers vont ainsi produire des défenses chimiques qui vont les rendre moins attractifs et mêmes toxiques pour ces mêmes insectes. De la sauge, le sagebrush n’a que la ressemblance et ces deux plantes ne font pas du tout partie de la même famille. Saviez-vous que les étendues recouvertes de sagebrush sont l’habitat d’un tétras, le greater sage-grouse ou tétras des armoises, armoise étant le nom français de sagebrush ? Enfin, le sagebrush était utilisé par les natives dans de nombreuses préparations médicinales, pour traiter les refroidissements, les maux de têtes, ou prévenir l’infection de blessure.
Des cailloux rouges, un beau ciel bleu, des cottonwood trees et la promesse de jolis panneaux de pictogrammes à découvrir. Que demander de plus ?
Nous arrivons au Peekaboo Trailhead. Nous étions venus ici, en 2014, directement en partant du camping, une bonne partie de la randonnée se faisant sur du slick rock. Un souvenir rendu mémorable par des paysages à couper le souffle. Nous y avions également découvert quelques ruines, que nous nous sommes promis de retourner voir aujourd’hui, car assez proches.
Peekaboo ou Peek-a-boo, ce jeu pour très jeunes enfants qui consiste à se cacher le visage avec les mains puis à le montrer brusquement en disant peek-a-boo, I see you! Le système des sentiers des USA en contient quelque uns, de ces Peekaboo trails, comme celui de Bryce Canyon ou encore le gulch du même nom dans le Grand Staircase Escalante National monument.
Nous commençons par cette belle série de mains, dont les lignes de vie sont savamment dessinées.
Les deux formes anthropomorphiques, aux larges boucliers décorés, s’inscrivent dans la continuité d’une ligne de points blancs. Elles recouvrent en partie des dessins rouges, beaucoup plus anciens.
En regardant bien, je distingue clairement une forme fantôme au-dessus de la silhouette blanche de gauche, les « oreilles de lapin » apparaissant à l’intérieur du côté gauche du torse, la tête dépassant. A droite du bouclier de droite, au même niveau, également une forme dont je n’aperçois plus qu’un torse strié de lignes verticales rouges. Ces formes rouges datent de 1000 à 3000 an AEC.
Nous passons de l’autre côté du mur de rocher et arrivons au soleil.
Quelques pas plus tard et nous sommes en terrain inconnu. Sur le GPS, Stefano a embarqué une série de points indiquant des panneaux ou des curiosités. Mais nous n’allons pas nous en contenter car il y a très certainement d’autres merveilles à découvrir.
Nous suivons les falaises et les faint trails.
Ici, sur la paroi en plein soleil, une belle rangée de mains. Il y en a des rouges mêlées à des jaunes, des blanches, et, fait exceptionnel, des noires.
Moi, je l’ai déjà écrit, mais les mains, elles me parlent et me racontent des histoires. Surtout celles-ci, qui ne sont pas que de « simples » empreintes mais des dessins aboutis, faits de lignes et de déliés. Comme si elles voulaient compter une histoire.
Voilà pour les rouges (au centre et à droite), les jaunes (entre les rouges) et les blanches (à gauche).
Et voici les noires.
Le sentier se perd dans la broussaille. Par endroit, nous en voyons plusieurs alternatives, praticables ou non en fonction de la hauteur de l’eau ou de la densité de la végétation. D’autres fois, l’alternative n’existe tout simplement pas. Mais nous avons vu pire. Notamment une fois, en allant chercher The Perfect Ruins, à Natural Bridges, où chaque centimètre se gagnait au prix d’une égratignure.
Quelques minutes plus tard, nous nous détachons du lit du creek et sommes à nouveau sur du plat.
Près d’une brèche dans la paroi, deux cercles concentriques hérissés de « dents » pointant vers l’intérieur, semblant empêcher le disque central de sortir. Certains référencent ce dessin comme un bouclier (shield). Du côté où nous sommes, nous n’arrivons pas à monter pour nous mettre à sa hauteur. Peut-être que, en faisant le tour de bloc de rocher, aurions-nous une meilleure chance ? Nous repoussons la tentative au moment du retour. Si, d’ici là, nous avons toujours envie et surtout nous n’avons pas oublié !
Quelques pictogrammes blancs annoncent le clou de la journée : Flying Carpet Panel.
Tadam ! Flying Carpet Panel est un incontournable de Salt Creek, tout comme All American Man Panel, d’ailleurs, qui est inscrit en top position sur ma wish list depuis que j’en ai vu une photo. Cependant, ce magnifique pictogramme n’est pas au programme du jour, beaucoup plus haut dans le canyon.
Ce panneau – Flying Carpet Panel, tire son nom du pictogramme le plus imposant : une forme anthropomorphique dont le torse est habillé d’un tapis (!) à franges et qui n’a pas de membres inférieurs. Ses mains, sortant des coins du tapis, sont riches en doigts, 10 d’un côté, 7 encore visibles de l’autre.
Ce qui est étonnant, c’est la vivacité des couleurs et l’excellent état de conservation des images. Elles ne sont abritées que par la paroi légèrement en dévers qui ne les protège pas de recevoir la pluie, du vent, et surtout du soleil tapant de plein fouet.
Les motifs du « tapis » sont recherchés et mêlent plusieurs teintes de rouge et des points blancs, arrangés tels des rangs de perles. Il y a une première série de motif, arrondie, au niveau des « épaules ». Au bas du vêtement, des traits verticaux qui se poursuivent ensuite en franges.
Mais il n’y a pas que le Flying Carpet. Les autres dessins valent également à eux seuls le déplacement. Nous retrouvons des formes qui ne sont pas sans nous rappeler des silhouettes rencontrées à Horseshoe Canyon, en allant voir The Great Gallery. La forme des torses – épaules larges et robes longues et étroites en bas – est très similaire, de même que les motifs peints à l’intérieur des silhouettes. Sans parler des têtes hérissées de coiffes. Je pense plus particulièrement à ces pictogrammes
Chacune de ces images mérite une attention particulière. Parmi elles, de vagues formes pleines, quelques fois recouvertes, comme des réminiscences d’un passé encore plus lointain.
A gauche du panneau, trois silhouettes beaucoup plus petites, deux rouge-orangé et celle centrale, rouge rayée de blanc.
Enfin, sur la droite, un autre groupe de dessins autour desquels gravitent des mains.
Deux « vieilles » silhouettes, un peu isolées.
Il reste un dernier point à découvrir. Nous nous rapprochons du lit du creek puis le traversons, retrouvant une végétation dense, rendue hostile par la présence des tamaris.
Alors que nous longeons les falaises, nous tombons sur une petite ruine, peut-être un petit grenier. Exactement ce qui manquait pour que la journée soit parfaite !
Et pourtant, me dit Stefano, taquin, ce ne sont que quelques pierres entassées… Je lui réponds enthousiaste : oui mais regarde, elles sont encore liées pour certaines par de la boue séchée, malaxée par des mains d’homme, de femme et d’enfant.
Nous y trouvons quelques morceaux de poterie, une rafle de mais et… je ne sais pas trop ce que c’est.
Non loin, le High Corner panel.
Un ensemble de dessins, à deux ou trois mètres de hauteur, répartis sur les deux faces d’un angle presque droit.
Le temps a filé. Il est déjà 14h et il est temps de faire demi-tour.
Sur le chemin de retour, nous avons encore un petit détour à faire pour aller voir un petit grenier. Plus facile à dire qu’à faire. Une vaste zone envahie de broussailles nous barre la route. Après trois tentatives infructueuses, nous jetons l’éponge. Les tamaris sont tellement denses qu’il nous est impossible de nous faufiler entre les branches, même en nous faisant tout petits. Les branches sont fines mais rigides et cassantes. Tout comme le renard dans la fable de La Fontaine, qui, lorsqu’il ne put atteindre le raisin, le déclara trop vert. Sans doute, pensons-nous, ce petit grenier ne méritait pas tous ces efforts…
Nous revoici au départ du Pickaboo Trail.
Nous longeons la muraille, par le sentier emprunté en 2016, pour rejoindre l’échelle qui permet de monter sur le plateau de slick rock.
Comme dans nos souvenirs, l’échelle est très légèrement inclinée sur le côté, rendant la montée un petit peu chaloupée.
Sur le plateau, deux ou trois knobs émergent.
Les petits greniers sont nichés en-dessous, encore plus mignons que dans nos souvenirs.
Bien à l’abri, ils sont intacts.
Ici, des branches de bois consolident la partie supérieure de l’ouverture.
Nous faisons le tour des « champignons ». Derrière, des cailloux à perte de vue.
L’un d’entre nous – je ne me rappelle plus qui – propose de descendre pour rejoindre le plateau inférieur. De là, nous pourrons rejoindre le Salt Creek. L’idée de sortir des sentiers battus nous emballe.
Nous observons attentivement les rochers en contrebas. Il y a en tout cas trois niveaux à passer avant de rejoindre le fond. Le dernier niveau demande un peu plus d’inventivité et nous oblige à nous faufiler entre deux rochers. Je jubile !
En face, nous distinguons un autre petit grenier.
C’est plus amas de pierre qu’un petit grenier, mais nous ne sommes ni gourmands, ni blasés.
A notre niveau, un vieux mur, vestige d’un autre grenier.
Enfin, dissimulées sous un surplomb, des petits mains blanches attendent depuis des centaines d’années le randonneur curieux.
Somptueuses, non ?
Nous sommes aux anges. Comblés, nous pouvons rentrer.
C’est alors que nous repérons un point blanc, isolé sur le rouge-orangé des parois. Curieux comme des pies, nous dévions de notre trajectoire.
En réalité, il y a deux points : deux jolis pictogrammes blancs dont l’un n’est pas sans rappeler ceux vus tout à l’heure, près de Pickaboo trailhead.
A une cinquantaine de mètres, différemment exposée, une autre image : une croix dans un cercle.
Elle a presque un petit air celtique.
Le soleil se rapproche rapidement de l’horizon. Si nous ne voulons pas renter à la frontale, nous devons vraiment songer à rentrer. Nous nous mettons donc en route, d’un pas rapide et retrouvons bientôt le sentier emprunté ce matin.
Le ciel vire au rose.
Je dois avouer que je suis bien contente d’arriver à la voiture. Une grande partie de la balade s’est faite sur du sable et les jambes commencent à être fatiguées. Le ciel est bien dégagé et la température descend rapidement. Les chaussures ont droit à un service minimum, pressés de poser nos séants sur les sièges chauffants. Juste avant d’arriver à la route qui mène à la résidence des rangers, nous croisons le pick-up blanc.
Le crépuscule est toujours le moment critique pour rouler dans ces vastes espaces. Car c’est l’heure où les biches sortent de leur cachette pour se nourrir. Nous roulons au milieu de la route, aux aguets. En passant près de Marie’s Place, je demande à Stefano d’arrêter la voiture, d’éteindre les phares pour contempler le ciel. Il fait nuit noire et le ciel est constellé d’étoiles. Le froid vif raccourcit notre observation céleste.
En ce jour de Noël, le Conoco est fermé. Il ne nous reste plus qu’ utiliser les moyens du bord et à jouer à la dînette à l’hôtel, dans le hall de la réception, qui est désert. Les deux nuits de camping à Needles n’auront vraisemblablement pas lieu, la faute au temps. Nous utilisons donc le matos et les réserves prévus.
Flore du jour
Des warriors.
Autoportraits du jour
Hum, une petite idée de l’endroit où nous sommes ?
A Flying Carpet panel.
Quelque part, près de Horse Canyon.
Pas très loin de la voiture, alors que le ciel s’assombrit.