L’objectif du jour est de monter à Salècchio superiore pour ensuite poursuivre vers le Passo del Muretto. De là, nous devrions voir le Lago di Agaro et l’Alpe Pojala. Si la première partie, jusqu’à Salècchio superiore est connue, la suite sera une découverte. Mais un local rencontré à Salècchio nous dissuade d’aller plus loin. La neige est abondante et représente un réel danger.
Partis hier samedi de Prangins, notre destination est le petit village de San Rocco pour une semaine de vacances printanières. Avec au programme, vous l’aurez deviné, quelques belles randonnées, pour découvrir de nouveaux paysages ou, peut-être, pour revisiter quelques beaux endroits. Au col du Simplon, la couche de neige est épaisse et d’un blanc immaculé. Nous n’avions pas prévu cette abondance d’or blanc et réalisons que nous devrons peut-être adapter nos itinéraires.
Les courses sont faites au Carrefour de Crevoladossola, une petite ville de moins de 5000 habitants. Nous connaissons la taille du frigo que nous aurons à disposition et pouvons ainsi planifier les menus de chaque soir, nous réservant une soirée restaurant. Au passage, nous notons avec surprise que ce petit magasin, en plus d’offrir 10% de remise le mercredi aux retraités est ouvert 24h/24, 7 jours sur 7. Oui oui, vous avez bien lu. Nous même avons de la peine à y croire.
Nous voici donc dimanche.
Pour cette reprise en main, ou plutôt en jambe car avec la météo exécrable de ces dernières semaines nous a retenus à la maison, nous décidons de remonter à Salècchio puis continuer en direction d’un col pour apercevoir le lago d’Agaro et surtout l’Alpe Pojala qui tient une place particulière dans nos cœurs (lire Alpe Pojala et Lago Poiala). Comme la dernière fois, nous laissons la voiture sur un parking au bord de la route, juste après le village de Passo. Quelques voitures sont déjà là. Le temps que nous nous préparions, deux autres arrivent. Les randonneurs en sortent, déjà chaussés, attrapent leur sac et sans un regard, commencent à marcher.
La route bétonnée se hisse par courts virages vers le pied de la falaise. Il fait frais et nous marchons d’un bon pas, cherchant à réchauffer nos vieilles carcasses.
Sur un virage, une ancienne carrière a laissé sur la montagne une cicatrice indélébile. Les nuages sont bas mais ne forment pas une masse opaque et continue. De brèves éclaircies viennent illuminer les toutes jeunes pousses des arbres.
Cette fois, nous prenons l’ancien chemin Walser, mis en évidence par un énorme cairn qui n’était certainement pas là l’année passée.
Ce que nous évite quelques lacets de route et surtout de longer la falaise dont la verticalité nous avait un peu effrayé.
Nous retrouvons très rapidement des marches de pierre, seul moyen qu’avait les anciens pour assurer la pérennité de leur sentier.
Arrivés à la chapelle, nous dépassons un groupe de randonneurs à l’âge certain. Nous échangeons quelques mots et parlons de notre destination du jour. Une dame nous dit sans détour : j’y suis allée une fois, c’est bon, je n’y retournerai pas ! J’éclate de rire devant son air assertif et déterminé.
A la sortie du tunnel que nous avons évité grâce au sentier, nous retrouvons la route pour quelques dizaines de mètres puis, à nouveau, le sentier Walser. De vieux murs de pierre, où quelques poutres de bois subsistent encore, se font absorber par la forêt de jeunes arbres qui colonise d’anciens pâturages. Aux abords de Salècchio inferiore, le sentier nous amène directement à l’église.
Les petits tertres dont je faisais mention dans mon précédent poste sont toujours là, parfaitement dessinés, même si l’hiver a légèrement arrondis les angles. Cette fois, avec tout le respect qu’il se doit, nous n’hésitons pas à prendre quelques photos.
Sur les murs de l’église, des plaques de marbre sculpté, persistent le souvenir d’hommes et de femmes.
Aucune âme qui vive à qui parler et échanger.
Sans nous attarder, nous continuons donc vers Salècchio superiore par une belle piste large et relativement plane. Au moment où Stefano parle de la nécessité des anciens d’avoir une belle route de communication entre les deux villages, elle se rétrécie brutalement, se transforme en sente, pavée par endroit, avec de belles marches construites pour parer à la déclivité qui s’est soudainement accentuée. Nous croisons un vététiste retenant son vélo.
A la chapelle, la vue sur Salècchio inferiore est plongeante. Au loin, très loin, le ciel est encore bleu et le soleil semble briller.
L’enclos des alpacas est vide. De la fumée s’échappe du refuge Zum Gora, ouvert il y a quelques jours seulement. La météo n’engage pas à la dégustation d’un crodino sur la terrasse. D’autant que le Passo del Muretto est encore loin. Nous montons directement vers le centre du village. En lieu et place des géraniums égayant les façades de bois sombre, de longues tiges séchées et jaunâtres pendouillent des bacs. Le jardin explosant de fleurs que nous avions admiré l’année passée n’est que terre et feuilles séchées.
Un homme, une grosse clé en forme de trident à la main, s’apprête à ouvrir la porte de l’église. Stefano lui demande si nous pouvons passer la tête dans l’embrasure de la porte pour contempler l’intérieur. Tandis que l’homme se dirige derrière la sacristie, nous pouvons admirer l’état impeccable des peintures qui recouvrent les murs et le plafond. Une magnifique poutre transversale, haute d’au moins soixante centimètres, contribue à la solidité de l’ouvrage.
Nous continuons sur le sentier qui passe entre les maisons en direction de l’embranchement vers le Passo del Muretto.
Un monsieur, d’à peu près notre âge, sort d’une maison, et lance un bundì, bundì enjoué. Stefano y répond par un bundì, bundì tout aussi jovial. Bundì veut dire buongiorno en italien ou « bonjour » en français. C’est un mot du dialecte lombard. Le signal est donné. Les deux compères parlent donc la même langue. S’ensuit un début de conversation dans ce dialecte lombard, aux sons très gutturaux et aux voyelles qui nécessitent d’abaisser le menton pour les prononcer. En tout cas pour moi. Ce qui fait toujours rire Stefano.
Stefano mentionne notre destination et son interlocuteur le décourage avec véhémence de poursuivre dans cette direction. Il reste beaucoup de neige en altitude, prévient-il. Stefano regarde la maison et demande : c’est votre maison familiale ? Non, répond-il, c’est une maison que j’ai dû racheter à de nombreuses familles (plus d’une vingtaine). L’acte de vente n’a pas été facile à signer, ajoute-t-il avec un sourire. Puis, naturellement, nous propose une visite de la bâtisse.
La porte s’ouvre sur une pièce sombre au plafond très bas, d’où part un escalier-échelle vers l’étage. A droite, à gauche, et au fond, trois portes ouvertes. A droite, la pièce est une sorte de petit musée : des outils agricoles et de vieux sabots, des poupées de chiffons (les anciennes barbies dira-t-il) sont accrochés au mur. Un coin de la pièce est occupé par la « stube », une sorte de four, utilisée pour chauffer la maison. Un banc de pierre, de forme circulaire, entoure un cylindre central, haut d’environ 1 mètres 40. Au-dessus, un lit, étroit, réservé à la personne en charge des bêtes, dormant à l’étable, sous le plancher. Cette personne pouvait se lever tôt le matin sans déranger les autres habitant dormant à l’étage. En contrepartie du réveil matinal, la « stube » procurait une douce chaleur. Au plafond, une poutre gravée et dessinée. Les inscriptions sont en latin et au centre une date : 1639. La maison a donc presque 400 ans.
La visite de la maison continue. Nous qui pensions juste passer la tête dans l’embrasure de la porte, comme tout à l’heure à l’église… La pièce suivante est celle où se préparait le fromage. Au centre, une longue table et, au bout, une énorme cheminée où un homme et son fils s’affairent à cuire de la viande. Nous entendons les gouttes de graisse qui s’échappent des grilles retenant prisonniers les morceaux de barbaque venir s’écraser sur les bûches en grésillant. Les murs sont ornés de vieux ustensiles de cuisines. Il y a d’abord une planche de bois sur laquelle est fixée avec un cercle à fromage. Une gouttière permettait au petit lait de s’écouler pour finir dans le ventre des cochons. Toujours au mur, une sorte de panier rectangulaire constitué de branches droites et parallèles, espacées d’un centimètre ou deux. C’est une sorte de tamis, dans lequel les pommes de terre fraîchement récoltées étaient placées. Le panier était ensuite secoué pour débarrasser les patates de la terre. Posé sur le rebord d’une fenêtre, ce que nous prenons d’abord pour un moulin à café est en réalité un moulin avec une manivelle latérale pour réduire en miette le pain sec. Enfin, dans un coin de la cuisine, une sorte de porte manteau à multiples branches destinés à faire sécher le pain cuit deux fois par an.
Nous pensions la visite terminée mais non. Au pied d’une échelle, une sorte de cadre de bois, haut d’une cinquantaine de cm, avec un cercle, coulissant sur deux traverses. Adriano (c’est son nom) nous demande à quoi pouvait bien servir cet objet, destiné aux femmes précise-t-il. Non, ce n’est pas un cabinet (WC). Nous donnons notre langue au chat. Il s’agit de l’ancêtre du youpala. Les femmes y glissaient les bambins qui pouvaient se tenir debout et se déplacer latéralement.
Nous sommes invités à monter par cette même échelle de bois. Au premier étage, les chambres. Dans la première, 4 petits lits côte à côte. Des pièces de linge blancs sont pendues au mur, sans doute de vieilles chemises de nuit. Au sol, des trous pratiqués dans le plancher afin de laisser la chaleur de la « stube » monter. Une seconde chambre, la chambre matrimoniale, avec outre le grand lit à double tête, un tout petit lit. Adriano nous montre les fenêtres, coulissantes (20 cm de large et de haut tout au plus) puis nous parle de la fenêtre de l’âme, destinée à laisse d’échapper l’âme des personnes mourantes. Cette fenêtre n’était ouverte que durant les derniers souffles de la personne.
Adriano est également le propriétaire du refuge Zum Gora, celui-là même où nous avons dégusté un crodino, en octobre passé. par le passé, il en était lui-même le gérant et avait reconvertie la maison que nous sommes en train de visiter en annexe de ce refuge. A l’époque, l’attrait d’une nuit passée dans une véritable maison Walser était fort et de nombreux touristes suisses allemands désiraient vivre l’expérience. Quarante personnes pouvaient ainsi y dormir. Les préparatifs du repas touchent à leur terme. Dans une autre pièce, une autre cuisine, la table est dressée et la salade verte attend. Il est temps pour nous de prendre congé. Nous le remercions chaleureusement et nous nous serrons la main à deux reprises.
Voici la maison, sur la droite alors que, enchantés par notre visite, nous partons vers le prochain village, Case Francoli.
Puisque le Passo del Muretto nous est interdit, l’itinéraire aura très certainement un air de déjà-vu. Tout en marchant, nous commentons avec enthousiasme notre rencontre du jour. Quelle chance avons-nous eu !
A Case Francoli, nous cherchons un endroit agréable pour pique-niquer alors que quelques gouttes cherchent à nous mouiller. Le village est désert et aucune cheminée ne fume.
Le Passo del Muretto est quelque part derrière ce pic, la Punta di Campo.
Nous poursuivons ensuite vers Mött où nous retrouvons le groupe de randonneurs rencontré à la chapelle, assis autour d’une table, en train d’achever leur repas. Ils font circuler une boîte de biscuits dont nous nous régalons. Ils ne semblent guère surpris d’apprendre que nous avons renoncé Passo del Muretto pour cause de neige.
Devant nous, les contreforts du Pizzo Martello et du Monte Giove.
A l’arrivée au bas de l’Alpe Vova, le soleil nous surprend. On l’avait presque oublié, celui-là.
Nous voulons à tout prix éviter la route de ciment qui redescend vers Rivasco. Elle nous avait semblé interminable et surtout avait mis à rude épreuve nos genoux. Stefano propose de revenir vers Case Francoli par un itinéraire différent.
Peu après le village, nous retrouvons nos traces et revenons Salècchio Superiore.
Nous y recroisons le monsieur qui avait ouvert l’église. Alors que ce matin il était plutôt taciturne, voir taiseux, lorsque nous abordons le sujet des fleurs sur les balcons, il se déride et nous apprend ainsi qu’il est né ici, dans le village et que ses parents, lasses de la vie dure qu’ils menaient, avaient décidé de partir alors qu’il avait un an. Ils n’y sont plus jamais revenus. Lui-même a attendu des années avant d’y remettre les pieds et de reprendre en main la maison familiale. Il y reste de mai à octobre. Il nous emmène voir le four du village dont il a fait refaire le toit. Il nous explique que, il y a quelques années, un groupe d’étudiant est venu pour étudier ce four et qu’il l’avait allumé à cette occasion, en prenant soin de faire monter doucement la température afin que les pierres ne se fendent pas. La température de cuisson fut atteinte au terme de deux jours.
Après cette seconde visite guidée, nous prenons le chemin du retour et décidons de rester sur la route, empruntant même le tunnel (356 mètres) à la lueur d’une frontale.
La descente est agréable et nous papotons tranquillement en suivant les lacets de la route. Nous rejoignons la voiture un peu avant 17h, enchantés de cette première randonnée et des expériences vécues.
Flore du jour
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Autoportraits du jour
A la chapelle, en montant vers Salècchio superiore.
A Case Francoli.