Pour notre seconde journée dans le Vercors, la première passée intégralement sur les hauts plateaux, nous partons vers les rochers du Parquet admirer le Mont Aiguille du bord des falaises. Les 5 à 8 centimètres de neige tombés durant la nuit ont embelli le paysage et nettement amélioré les conditions de glisse.
Quelqu’un commence à bouger vers 6 heures. Puis plus rien. Seules les respirations viennent troubler le silence. Certaines plus bruyantes que d’autres !
Le ciel s’éclaircit. L’intérieur de la toile de tente scintille : de la condensation gelée. A 7 heures, l’agitation gagne du terrain. Le froissement des toiles de sacs de couchage devient constant. Stefano est un des premiers à sortir. Des exclamations fusent : « Il a neigé ! », « Venez voir la lune ! ». Je me résous à sortir de la tiédeur du sac. Même si j’ai eu froid cette nuit, là, à l’instant présent, je suis parfaitement bien. Sans doute l’anticipation d’exposer quelques centimètres carrés de ma peau nue à la froideur matinale.
A l’extérieur, le spectacle est saisissant. A l’est, des lueurs jaunes et roses illuminent quelques nuages résiduels.
A l’ouest, la lune, pleine dimanche, encore bien ronde aujourd’hui, se prépare à céder sa place à l’astre solaire.
Tombée cette nuit, une petite couche de neige est venue poudrer le relief et les pins. La lavvu a rétréci, sa base avalée par la neige.
Les pulkas ont, elles-aussi, bénéficié du poudrage. Nous les époussetterons et les disposerons à la verticale, afin qu’elles se vident de l’eau résiduelle.
Stefano prend soin de son dos, soumis à rude épreuve par le tirage constant de la pulka et la nuit passée sur un matelas de camping.
Sa belle doudoune jaune gardera des traces indélébiles de notre soirée au coin du poêle. Comme celle de Simon d’ailleurs. Tel Icare qui brûla ses ailes en s’approchant du soleil, la fine toile de Pertex qui emprisonne le duvet n’a pas résisté à la chaleur du tuyau, et ce, sans même l’effleurer. Pour Simon, deux grands morceaux de duct tape gris argenté ont été nécessaires pour colmater le trou d’où s’échappaient quantité de plumettes blanches. Côté Stefano, seule une petite rustine a suffi pour garder prisonnier le duvet.
Le ciel s’embrase.
Nous attendons que les premiers rayons atteignent notre campement. Ils ne sont pas loin et déjà, imagination et anticipation aidant, la température nous semble moins extrême. L’humeur est au beau fixe. Les sourires éclairent les visages et les yeux brillent d’émotion. Nous vivons un moment intense.
Eric a mis son sac de couchage (de la marque Cumulus d’ailleurs, comme les nôtres, restés cependant à la maison car pas assez chauds), le seul en duvet, à sécher dehors. « Avec le froid, l’humidité va se transformer en givre. Dans quelques minutes, il suffira de le secouer et je pourrais le rentrer », nous explique-t-il. Tiens, tiens, bon à savoir !
Eric s’active à la préparation du petit déjeuner. Désinvolte, il farfouille dans les différents sacs pour en extraire pots de confiture, miel, beurre de cacahuètes, pain d’épice, sac de céréales, ou encore lait en poudre. L’expression « it’s not his first rodeo » me vient en tête. L’eau bout et bientôt une bonne odeur de café se répand dans la lavvu.
Repus, chacun se prépare pour la journée. Eric veut nous emmener vers les Rochers du Parquet d’où nous aurons, nous promet-il, une magnifique vue sur le Mont Aiguille. Nous répartissons dans nos sacs à dos les divers aliments qui composeront notre repas de midi. Aucune directive quant à l’heure du départ n’est donnée mais nous nous retrouvons tous plus ou moins en même temps, à chausser nos skis.
La journée s’annonce magnifique. La petite épaisseur de neige fraîche procure une belle sensation de glisse. Point de pulka à traîner, nous sommes libres de nos mouvements.
A vol d’oiseau, les Rochers du Parquet ne sont pas très loin. Comme nous avons toute la journée pour y faire l’aller-retour, Eric, déjà loin devant, nous balade entre les pins, pour notre plus grand plaisir.
Par moment, le soleil disparait, absorbé par les nuages qui montent de la vallée. C’est un phénomène connu, nous dit Eric. Avec la chaleur, les nuages montent. Comme hier, nous rappelle-t-il. Il faisait beau au parking, à 10h30, et, avec la chaleur du soleil, les nuages nous ont rejoints et tenus dans la grisaille presque toute la journée.
Nous prenons petit à petit de l’altitude, même si de courtes descentes viennent nous divertir.
Joli arbre mort.
Conciliabule alors que Magali met un compeed.
Pour ceux qui n’ont pas gardé les peaux sous les skis, les montées un peu raides se franchissent en marche en canard.
Prudente, j’ai gardé les miennes, de manière à me ralentir dans les descentes… Au grand dam d’Eric qui ne comprend pas vraiment cette approche ! Lui qui ne laisse passer aucun petit creux pour le dévaler le plus rapidement possible, quitte à remonter ensuite pour nous rejoindre.
Peaux ou pas peaux, certains passages en dévers nous mettent tous d’accord.
Seuls au monde. La lavuu est quelque part entre les pins.
Nous sommes maintenant dans la dernière montée. Bientôt, le vide nous arrêtera, la montagne s’arrêtant net, les falaises tombant à pic.
Nous y sommes ! Le Mont Aiguille, qui, de notre point de vue, ressemble plus à un tabouret qu’à une aiguille.
Notre petite troupe est euphorique ! La vue est magnifique et même si l’engagement physique et technique était, somme toute raisonnable, nous sommes très fiers d’être parvenus ici. Eric nous propose de longer la falaise vers le nord afin de trouver un endroit sympa pour le pique-nique. Nous sommes tous un peu réticents, en raison de la pente raide que nous devrons parcourir en dévers et de la fine couche de neige recouvrant de la glace. D’autant qu’il a abordé, quelques minutes auparavant, le sujet des secours qui, en cas de pépin, ne peuvent être contactés par téléphone, le réseau mobile étant inexistant dans la région. Eric balaie notre méfiance d’un revers de main. Très hésitante, je me décide à lâcher prise en me disant que, après tout, c’est lui le guide et qu’il sait ce qu’il fait.
Il part en reconnaissance, vérifier les conditions et l’épaisseur du manteau neigeux.
Il revient quelques minutes plus tard, tout joyeux, confirmant l’itinéraire. Nous suivons donc la falaise à quelques mètres du vide, pour le plus grand bonheur (!) de Stefano.
Ne me demandez pas pourquoi Stefano regarde obstinément sur sa gauche… :-)
Lorsque qu’Eric juge l’endroit adéquat et la vue suffisamment belle, nous nous installons confortablement pour le pique-nique. Nous commençons par une soupe chaude. Je vous laisse apprécier la manière dont Eric touille la poudre dans l’eau chaude. Ça ne s’invente pas !
Notre campement est quelque part, au milieu des pins. Simon, oeil vissé contre un monoculaire, passe un long moment à observer. Puis il s’écrie : je l’ai repéré ! Il me passe le monoculaire et me décrit le chemin à parcourir visuellement pour le trouver. Il faut suivre la crête de gauche jusqu’à l’intersection avec la montagne plate en second plan. Puis, descendre tout droit, suivre une ligne oblique de pins de la droite vers la gauche et descendre encore verticalement. Et… la lavvu est effectivement là, brillant légèrement sous le soleil.
La halte terminée, nous nous préparons pour la suite de la randonnée. Et pas la plus facile. En tout cas pour moi. Lorsque je pense à tout le dénivelé négatif à parcourir pour rejoindre le camp, j’en ai des sueurs froides. D’autant que la qualité de la neige n’est pas égale. Molle au soleil ou verglacée sur les pentes les plus raides qui n’ont pu retenir la neige fraîche, ces différences de texture ne m’enchantent guère.
L’année passée, dans des conditions similaires, j’ai « embrassé » à deux ou trois reprises mes spatules. Expériences que je n’ai pas envie de renouveler.
Je laisse partir la troupe devant. Eric s’élance, suivi de Laurence, très à l’aise et audacieuse. Simon, Magali et Stefano suivent. Je ferme la marche. Il y aura bien quelques chutes, mais sans bobo. Néanmoins, cette partie de journée ne restera pas un de mes moments favoris.
Nous rejoignons le campement sur le coup de 16h. Simon se porte volontaire pour la corvée de bois. Chacun enchaîne des petites taches, contribuant soit à la préparation du dîner ou remplissage des gourdes, …
Le ciel s’obscurcit lentement tandis que la température chute. La nuit sera plus froide que la précédente, annonce Eric. Car le ciel va rester clair. Magali fronce les sourcils, en réminiscence de la nuit passée, où déjà, nous avouera-t-elle, elle a passé de longues heures à grelotter.
A l’intérieur de la tente, le poêle vomit d’épaisses volutes de fumée. Eric est désespéré. Nous aussi d’ailleurs. Alors que des petits biscuits salés circulent avec le vin blanc, de l’eau chauffe pour la cuisson des pâtes. Quatre berlingots de sauce tomate et le reste du fromage à fondue viendront compléter le festin. Eric cherche frénétiquement la boîte contenant le sel qui réapparaîtra au moment de servir. Stefano goûte les pâtes et nous garantit qu’elles seront al dente. Les assiettes se tendent, se rapprochant de la casserole fumante. Les yeux brillent et les papilles se préparent à la fête. Le sachet de fromage râpé circule. L’heure n’est ni à la diète ni au régime. Il faut compenser la perte calorique du jour, entre effort physique et froid. Sans parler de la nuit glaciale qui s’annonce. La casserole se vide rapidement. Nonnettes, pommes et compotes de pomme viennent terminer le repas.
Magali demande a Eric de nous raconter quelques anecdotes vécues avec ses clients. Il réfléchit puis s’exécute avec enthousiasme, tout en nous disant que, tout compte fait, les cas qui méritent d’être racontés sont plutôt des exceptions. Il nous raconte également le sauvetage « raté » au Mont Blanc, en 1956, qui mena à la création des PGHM. Les paupières deviennent lourdes. Le temps s’est envolé. Il est temps de se préparer pour la nuit.
Nous sortons regarder les étoiles. Même avec notre vision nocturne affaiblie par les frontales, des myriades d’étoiles scintillent. L’instant est magique. Puis, chacun se glisse dans son cocon et bientôt plus rien ne bouge.
Autoportraits du jour
Au Mont Aiguille.
A la pause déjeuner. De gauche à droite : Laurence, Simon, Magali et les Two Swiss Hikers.
Profitant des dernier rayons du soleil… Merci Magali pour cette belle série de photos.