Plateau Point
Le réveil sonne à 3 heures. Du matin, je précise…
Nous sommes à Tusayan en Arizona, pour une semaine de randonnade au Grand Canyon. Randonnade ? Un petit clin d’œil à notre témoin de mariage, Darius Nobs, militaire de carrière que nous avons perdu de vue depuis quelques années. C’est un copain de Stefano, à l’époque où, tout frais arrivé du Tessin, il usait ses fonds de culottes sur les bancs de l’Uni à Genève et fréquentait les bars. Nous avons fait quelques sorties à vélo avec lui, un anniversaire mémorable à la caserne de Bière en Suisse avec parcours du combattant et barbecue. Ce mot « randonnade » est ressorti aujourd’hui, allez savoir pourquoi !
Tusayan, à prononcer Tusian. C’est là que en 2012, nous avons passé notre premier 4th of July, tout frais remontés du Grand Canyon où nous avions passé trois nuits.
Mais revenons à 2014. Stefano va fêter ses 50 ans dans quelques jours et nous a offert, pour fêter dignement ce demi-siècle, une semaine de vacances au Grand Canyon. Nous avons quelques idées en tête, comme un rim to river to rim et un rim to rim avec, pourquoi pas, le retour le lendemain.
Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, nous sommes en phase d’entraînement. L’objectif est de préparer nos gambettes à l’effort, d’acclimater notre corps à l’altitude, nous qui vivons depuis plus d’une année au niveau de la mer, et surtout, de voir comment nos pieds vont réagir.
Pour la petite histoire, samedi passé, le 23 août, nous avons décidé de faire une longue marche, sous la chaleur de Houston. Certains affirment que ce samedi était le jour le plus chaud de l’année. Nous avons marché 40 km, en commençant par Terry Hershey Trail, puis le Noble Trail, retour par la digue avant de reprendre le Terry Hershey Trail. Les derniers kilomètres – les 20 derniers pour être francs – se sont faits dans la douleur. La chaleur, couplée à la marche avec les bâtons qui modifie les points d’appui et les endroits de friction, ont eu raison de nos petits pieds et la balade s’est soldée par des ampoules aux talons et sur la balle de la plante des pieds, pour certaines plus grosses qu’une pièce de 1 CHF. Nous avons pansé nos blessures et remis ça le lendemain mais n’avons pu marcher que 3 heures, la douleur étant encore intense. Stefano est allé travailler le lundi en boitillant, après que j’ai tenté, tant bien que mal de réduire la pression sur les points sensibles. Ce n’est que jeudi que nous avons arrêté de boitiller et avons repris le fitness.
L’expérience a été profitable, bien que certains l’aient qualifiée « d’erreur de débutants ». Après maints googlings, recherche de trucs et astuces, nous avons appris plein de choses, la plus importante étant que nous n’étions pas les seuls à avoir eu des ampoules (c’est toujours bien de savoir que d’autres ont eu les mêmes malheurs). Ensuite, entre autre, que le fait de porter deux paires de chaussettes pouvaient déplacer les frictions entre la peau et la chaussette vers la chaussette fine (liner) et la chaussette normale de hiking. Ensuite, qu’en cas d’urgence, une ampoule peut être recouverte d’une couche (voire deux) de super-glue. Si si, c’est vrai. Enfin, que les ampoules peuvent se percer (bon nous le savions déjà et le pratiquons assidûment) mais qu’il faut éviter l’alcool et plutôt recourir à de la pommade cicatrisante.
Bref, nous sommes devenus les pros de la prévention et du traitement des ampoules.
Donc, aujourd’hui, nous avons prévu une petite marchouillette.
Nous nous parquons au Backcountry Parking et empruntons le Bright Angel Trail. Il est 4h48. Il faut que nous améliorons notre temps de préparation, car 1h30 c’est beaucoup. Ce qui nous a pris plus de temps, c’est certainement la préparation des pieds… Un grand travail de précision : Moleskin, Leukotape, Tensoplast (anciennement Elastoplast, mon meilleur ami depuis longtemps), Compeed.… toute la panoplie du parfait hiker.
Nous marchons à la frontale mais déjà le ciel s’éclaircit.
En quittant la voiture, la température était de 55°F, soit un petit 13°. Une petite couche Columbia Omni Heat par-dessus notre T-shirt mérinos et le tour est joué.
À 5h20, le jour point.
À 5h30, nous avons atteint le premier point d’eau et ôté une couche (1) et à 5h32 la paroi s’éclaire (2).
Nous croisons quelques hikers qui montent, ayant passé la nuit à Indian Garden. Il est encore un peu tôt pour croiser ceux qui montent du Bright Angel Campground, au bord du Colorado.
La magie du Grand Canyon s’opère déjà, même si les contours sont encore indistincts.
6h14. Nous descendons depuis un peu plus d’une heure. Le rim est déjà loin.
Le sentier est abîmé par le passage fréquent des mules. Des troncs ou branches d’arbres, placés à hauteur et intervalle irréguliers, sont censés éviter l’érosion de la pluie et des sabots. Entre les troncs, du sable.
Notre champ de vision s’élargit. Le soleil est maintenant levé. Indian Garden est maintenant visible, aisément repérable au vert tendre des Cottonwood trees qui bordent le creek.
Aux environs de 7h, nous sommes installés sur un banc, tout près du point d’eau d’Indian Garden. Nous avons enlevé nos chaussures, nos deux paires de chaussettes et mettons en application une recommandation trouvée sur Internet : reposer régulièrement les pieds, les faire respirer et sécher, de même que les chaussettes. Un petit quart d’heure suffit.
Le rim est 1’146 mètres plus haut.
Nous prenons la direction de Plateau Point et suivons un sentier, visible depuis le rim. Notre première visite au Grand Canyon date de 2004 et déjà ce sentier m’avait fait un clin d’œil. Pour l’avoir pensé moi-même, j’ai coutume de dire à Stefano que c’est « le sentier que tout le monde montre du doigt en disant : regarde, là-bas, le sentier ! ». Stefano, habitué, me sourit patiemment à chaque fois ! Et de la patience, il lui en faut….
Voici une photo prise hier qui montre ce fameux sentier. Indian Garden est visible dans l’ombre et, dans le prolongement, légèrement sur la gauche, le sentier se profile, au centre d’une longue bande de terre.
Le rim, vu de Indian Garden.
Nous quittons Indian Garden et rencontrons le soleil pour la première fois aujourd’hui.
Le Battleship.
Et me voilà, marchant sur le sentier que tout le monde montre du doigt en disant « regarde, regarde, le sentier ! ».
J’en savoure chaque pas…
Nous nous arrêtons pour prendre en photo un lézard (voir Faune de jour) et lorsque nous relevons la tête, sur le sentier, nous apercevons une branche luisante qui ondule… Hum, un gros serpent, pas pressé pour un sou de nous laisser passer.
Pacific Gopher Snake.
Quelques mètres plus loin, un autre serpent, de la même espèce, mais encore plus gros. Du coup, nous en déduisons que les premières lueurs du soleil les font sortir de la cachette afin de se (ré)chauffer et par conséquent, nous ouvrons encore plus nos yeux.
Nous avons passé la jonction avec le Tonto Trail West.
Dans quelques mètres, nous allons pouvoir contempler le Colorado.
Le voilà !
Le rim, vu de Plateau Point.
Le côté Ouest du Grand Canyon.
Il est 8h30. Nous envoyons notre message SPOT du jour car nous avons atteint le but de notre balade.
Nous sommes rejoints par un groupe de trois personnes : un couple, lui américain, elle d’origine coréenne ainsi que son père. C’est un petit bonhomme tout sec de 71 ans, qui saute et court partout, tout excité et fou de joie. Je le regarde, attendrie. Je le vois ainsi aller vers son beau-fils, lui faire un hug et dire au moins 10 fois de suite : thank you, thank you, thank you…. J’en suis toute remuée… En voilà un qui a dû le rêver plus d’une fois, le Grand Canyon.
Nous restons ainsi, quelques minutes, les pieds à l’air, les chaussettes étalées sur la roche déjà chaude. Le soleil est encore bas, la chaleur est douce, l’air pur… Le bonheur parfait.
Puis nous regardons le South Rim, et nous réjouissons de la montée qui nous attend.
Par la même occasion, nous regardons également du côté Nord, car dans quelques jours, nous tenterons la traversée du Grand Canyon. D’ailleurs, nous avons réservé une nuit au Lodge du North Rim.
Nous nous remettons gentiment en route, avant que le soleil ne soit trop haut.
La jonction avec le Tonto Trail.
Dans quelques jours, pour descendre au bord du Colorado, nous emprunterons le sentier qui suit le creek, aisément repérable grâce aux cottonwoods qui le bordent.
Traversée de roseaux…
Nous avons quitté Indian Garden. Nous sommes encore dans le lit du creek, et la pente est encore douce.
À peine avons-nous attaqué les premiers switchbacks (autrement dit les choses sérieuses), que nous sommes stoppés dans notre élan par un train de mules. Touristes, va !
Après cet interlude, nous retrouvons sans effort le rythme des Two Swiss Hikers et progressons, lentement (en fait pas si lentement que ça…) mais sûrement vers le rim.
Une heure et 2 minutes après avoir quitté Indian Garden.
10h18 soit 42 minutes plus tard.
11h02.
11h22.
11h28… Bouh, c’est déjà fini !
2 heures pour descendre, 2 heures et 15 minutes pour remonter. Not bad!
Nous nous posons sur des rochers, ôtons chaussures et chaussettes pour le traditionnel séchage. Je m’allonge sur un rocher, regarde avec délectation le ciel bleu puis m’endors…
Le temps passe, lentement. Nous en savourons chaque seconde.
Nous rentrons vers Tusayan. Une petite sieste plus tard (dans un vrai lit cette fois), nous nous dirigeons vers notre cantine d’il y a deux ans. Pourquoi changer ?
À 19h nous avons fini de manger et à 20h, nous sommes au lit, pour une bonne nuit de sommeil…. En sachant que le réveil est mis pour 3h,…
Faune du jour
Un raton-laveur, ou raccoon. Nous en avons vu par deux fois, la première fois un groupe de deux, la seconde, un groupe de trois dont un petit. La lueur de nos frontales s’est reflétée dans leurs yeux, les transformant en deux billes luminescentes.
À Indian Garden, les biches font partie du paysage. Elles paissent tranquillement, sans sembler être dérangées par la présence humaine. À notre passage, celle-ci relève la tête et nous regarde avec ses grands yeux, les oreilles dressées.
Lézard dédaigneux.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Bon, ce n’est de loin pas notre meilleur autoportrait, mais un autoportrait, c’est un autoportrait ! Il est 5h51. Nous venons d’éteindre et de ranger nos frontales.
À quelques mètres de Plateau Point.
À notre cantine, Plaza Bonita.
Références externes
En anglais
- Hiking Project - Plateau Point (avec tracé GPX)
- Wilipedia - Plateau Point Trail