Difficile de trouver les mots pour décrire le petit coin de paradis qu’est le Piano della Greina, perché à 2200m, lové entre deux vallées reculées des Grisons et du Tessin. Vaste zone marécageuse, entourée de pics et de collines, le Piano della Greina est un véritable joyau coloré, ruisselant et bruissant de vie.
Comme hier, nous partons d’Olivone en direction de Campo Blenio. Mais, arrivés au village, plutôt que de virer vers l’ouest en direction d’Orsàira, nous poursuivons vers le nord, le long du Brenno della Greina.
Nous montons jusqu’à ce qu’un panneau indique que la circulation est désormais interdite, à moins d’avoir un permis spécial. A proximité, un parking, que Stefano avait bien sûr repéré lors des soirées passées à préparer nos itinéraires.
En période estivale, soit à partir du 1er juillet, un service de navette est disponible, entre Campo Blenio et le départ du sentier. Mais nous sommes en avance de quelques jours. Le prix à payer est donc une marche d’approche supplémentaire.
Au fond, le Sosto.
La journée s’annonce superbe. Nous partons plein d’entrain sur la route et attrapons le premier sentier qui nous permet de couper un virage.
La lumière est extraordinaire et l’herbe ondule sous le vent. Si le paradis existe vraiment, il est là, autour de nous.
Nous alternons à plusieurs reprises une traversée de route, quelques pas sur le goudron, puis un sentier faisant office de raccourci, montant sec et droit dans la pente.
Le Sosto rapetisse et nous voyons maintenant, à sa base, le village de Campo Blenio, puis la gorge du Brenno della Greina qui se faufile entre le Sosto et le Pizzo Rosseto. C’est par cette même gorge que nous sommes passés, il y a quelques jours, lors de notre montée vers le barrage du Luzzone.
Le panorama est tout aussi magique devant que derrière.
Notre horizon est borné par une crête imposante qui sonne l’arrêt du Val Camadra. Les sommets oscillent entre 2800 et 3100 mètres. Au bout, le lit du Brenno della Greina fait un coude et son eau dévale du Passo della Greina.
Le premier objectif de la journée est d’atteindre le départ du sentier. Il est encore loin, le bougre, mais comme dit le Sage, chaque pas te rapproche de lui. Le second objectif est de monter à la capanna Scaletta, ce qui devrait nous mettre plus au moins au niveau du Piano della Greina. Nous discernons le toit triangulaire de la capanna Scaletta, se détachant sur le bleu du ciel.
Nous arrivons enfin au départ du sentier, au terme de 3 km de marche d’approche et une prise d’altitude de près de 500 mètres. Et là, impossible de ne pas repérer le toit de la cabane.
Quelques voitures sont garées sur le parking circulaire qui marque l’arrêt de la route. Sans doute celles des volontaires s’occupant de la cabane.
Nous nous rapprochons encore des crêtes. Le sentier se fond avec le lit du torrent.
Derrière nous, le Val Camadra et visible, au centre, sur le replat, le parking en anneau.
Le sentier a viré de 90° et nous dirige maintenant vers la capanna Scaletta. Derrière nous, la Cima di Camadra et le Piz Medel.
Le sentier qui mène vers la capanna Scaletta est un joli sentier de montagne, exigeant et raide. Le terrain est agréable et offre une bonne accroche.
Nous gardons la visite de la cabane pour le retour.
Le sentier disparaît sous un névé. Nous entendons l’eau courir sous la neige. Le Passo della Greina, qui marque la frontière du Piano della Greina est à une petite demi-heure.
En quelques minutes, nous passons de l’été à l’hiver. Un vent glacial transperce nos tee-shirts mouillés, se glissant impitoyablement dans le moindre interstice de nos vêtements.
Nous nous abritons derrière un monticule, et enfilons coupe-vent, bonnet et gants, que nous avions prudemment glissés dans nos sacs ce matin.
Nous voici au col. Nous admirons l’évolution du temps donné entre les panneaux les plus récents et les plus anciens, ceux où les lettres sont en relief. Il y a quelques années, il ne fallait que 2h30 pour rejoindre Campo Blenio. Aujourd’hui, 40 minutes de plus sont nécessaires.
C’est ici que nous nous séparons du Brenno della Greina. Ses sources proviennent du flanc des montagnes et il reste à l’ouest du col qui fait office de ligne de partage des eaux.
Notre horizon s’ouvre. Nous avons un premier aperçu du Piano della Greina. Stefano m’avait alléchée à plusieurs reprises quant à la beauté des lieux qu’il avait pu constater au travers de divers récits de randonnée. Je ne suis pas déçue. Le décor est magistral. Mais il faut être patiente, lance Stefano. Un peu plus loin, la vallée s’élargit et c’est là que tout commence.
Sur notre gauche, un plateau sur lequel un premier rassemblement d’eau initie le Rein da Sumvigt qui, comme son nom l’indique, ira rejoindre le Rhin.
Le type de roche est inhabituel. Ni granit, ni grès, nous nous attendons à trouver un fossile de dinosaure à chaque contour. Le sentier, quant à lui, est recouvert d’ardoise.
Nichée au milieu de cette roche si particulière, une petite cabane, l’Edelweiss.
Située à 2348 mètres d’altitude et construite par l’armée en 1948, elle fut d’abord un refuge pour les militaires. Délaissée, à la fin des années 60, elle fut achetée pour 100 francs symboliques par un groupe de jeunes enthousiastes originaires d’Olivone. Son nom n’a pas été choisi par hasard car l’edelweiss, fleur symbolique, rare et convoitée, pousse dans les environs. Étroitement associée aux Alpes et plus particulièrement à la Suisse, l’edelweiss vient pourtant d’Asie (lire à ce sujet L’aura mystique et mythique de l’edelweiss).
La dernière rénovation de la cabane date de 2001 et son aspect extérieur initial lui fut rendu par son habillage en tavillons.
Stefano me parle d’une arche, non loin. Une des seules de Suisse, digne d’un parc américain éponyme que nous connaissons bien. Tout comme la visite de la capanna Scaletta, nous repoussons le détour au retour.
Le centre du plateau est constitué de cette roche lunaire, blanche ocre, dont l’aspect ressemble à un assemblage de « sédiments meubles d’origine glaciaire, gravitaire, fluviatile et organogène, donc issus d’organismes vivants marins (algues, coraux, mollusques, crustacés, etc.) » – Source Emmanuel Reynard et Georgia & Cristian Scapozza de l’université de Lausanne.
Un des nombreux rus qui vient alimenter le torrent principal.
Torrent qui, d’ailleurs, s’est creusé une petite gorge au milieu de cette roche sédimentaire. Le sentier la longe, pour notre plus grand bonheur.
Notre horizon s’élargit encore. La voici, cette fameuse plaine de la Greina, qui, rappelons-le, faillit être noyée sous un lac de barrage dans les années 1980. Il s’en fallut de peu et ce fut grâce à une mobilisation massive de la population locale que le projet fut abandonné. Pourtant, il aurait été très profitable, financièrement parlant.
A droite, une vallée et un sentier qui permet de rejoindre l’extrémité nord du lago di Luzzone.
Le Piano della Greina oblique légèrement à gauche.
Nous voici à la croisée des chemins.
Ce matin, en montant à Campo Blenio, dans la voiture, Stefano m’a fait un petit topo de la journée : la capanna Scaletta, le Passo della Greina, le Piano della Greina de bout en bout avant un petit pont suspendu qui nous permettrait de faire le tour du Muot La Greina – une montagne – avant de rejoindre le sentier par là où nous sommes venus, un peu en deçà du Passo della Greina. Puis la descente vers la voiture par le chemin emprunté à l’aller.
Mais, à cette croisée de chemin, Stefano parle d’opérer un demi-tour. Je proteste. Il n’est pas difficile à convaincre : il me suffit en fait de faire la moue. Tu es sûre, me questionne-t-il. Oui oui… je veux vraiment aller voir le pont, et le reste. Je veux que cette journée ne s’arrête jamais.
Traversée du Rein da Sumvigt. Non non, ce n’est pas le pont dont je viens de parler. Il n’est pas suspendu, d’ailleurs…
La plaine s’étire. Ce lieu est envoûtant. C’est d’ailleurs ici que nous nous arrêtons quelques minutes, le temps de croquer dans notre sandwich. Bien nous en prend car nous voyons que des randonneurs s’aventurent sur le bord du torrent plutôt que de suivre le sentier qui remonte sur la butte.
A cet endroit, l’eau est transparente et laisse apparaître la couleur jaune de la roche.
La variante près de la rivière est même une variante officielle.
Une autre croisée de sentes. Nous devinons que le pont est tout au bout.
L’ancien pont, fermé. Tant mieux, car Stefano m’avait vendu un pont plus… sensationnel !
Et il ne m’a pas menti…
Le pont traversé, Stefano a un moment d’hésitation. Le sentier devient brusquement très aérien et surtout très encombré par des groupes de randonneurs. Il y a même 2 VTT. Nous attendons, collés à la paroi, que tout redevienne calme. Ensuite, nous pourrons prendre une décision : continuer par le sentier pour rejoindre la capanna Terri ou faire demi-tour.
Stefano observe des randonneurs descendre vers la cabane, discutant, aussi à l’aise que s’ils se trouvaient dans une rue marchande. Certains courent même, insensibles au vide. J’attends, patiemment, que Stefano fasse son choix.
Le choix est fait ! Nous partons vers la cabane.
Je vois sa main libre se crisper et se décrisper, son pouce aller toucher séquentiellement le bout des autres doigts. Une marque de stress que j’ai appris à reconnaître. Je le laisse aller à son rythme, silencieuse, attentive à marcher furtivement, à ne pas faire rouler une pierre.
Dieu merci, le passage est de courte durée et bientôt un talus, sur notre droite, limite la sensation de vertige. Nous apercevons la cabane.
Stefano se retourne et me dit, un large sourire sur le visage : j’ai bien mérité un jus de pomme, n’est-ce pas ? Et comment ! je réponds, enthousiaste à l’idée d’une pause et d’une contribution à l’économie locale.
Il y aura même plus qu’un jus de pomme (servi dans une chope de bière)… Jugez plutôt ! Une tarte aux noix !
Repus par une demi-part de tarte aux noix chacun, réhydratés grâce à 1/2 litre de jus de pomme, saturés en sucre et en graisse, nous nous remettons péniblement en route. Il nous faut gagner un peu plus que 200 mètres en dénivelé vertical pour nous remettre au niveau de de la plaine de la Greina.
Voilà déjà un petit bout de fait ! La cabane a considérablement rétréci.
Ce petit replat est le bienvenu. J’ai le ventre qui gargouille. La tarte et le jus de pomme ne font pas bon ménage. A moins que l’espace ne soit trop exigu.
Et nous voilà passés de l’autre côté. Nous surplombons le piano della Greina mais cette fois par son côté sud.
Le soleil n’est plus du même côté et même si le paysage est familier, le changement de lumière nous en fait découvrir une nouvelle facette. Au fond, une montagne d’ardoise brille au soleil.
Un petit passage technique nous tire de notre routine.
Nous restons en hauteur, appréciant le magnifique panorama. Le Rein da Sumvigt s’étire, tournicote, prend ses aises pour occuper le plus d’espace possible. La zone est marécageuse, entrecoupée de tourbières aux teintes orangées.
Nous imaginons qu’il a fallu quelques heures pour graver cette date d’une si jolie manière.
Le sentier descend, inexorablement, vers la plaine.
Ce phallus dressé marques la fusion des deux sentiers. Nous sommes à nouveau en terrain connu, non loin de la cabane Edelweiss.
Ce petit bassin, dans lequel se jettent les premières eaux du Rein da Sumvigt, nous indique que nous nous rapprochons du col. Nous laissons derrière nous la plaine de la Greina, et sa longue rangée centrale de pierre sédimentaire, telle une épine dorsale.
Stefano regarde sa montre. L’arche… Partie remise, me dit-il. Bientôt les 18 heures vont sonner.
Nous rejoignons un randonneur solitaire qui descend du Pizzo Corói. Il dort ce soir à la cabane. Il a tout le temps devant lui.
Je laisse Stefano et le randonneur papoter devant, n’arrivant à suivre que quelques bribes de leur conversation.
Je me retourne une dernière fois pour contempler la montée vers le Passo della Greina, celle-là même où nous grelottions ce matin. Il fait si bon maintenant.
Seuls à nouveau, nous commençons la descente. Devant, l’air est pur et rien ne vient obscurcir notre vision. Nous pouvons ainsi apprécier le reste à faire. Le Sosto, au loin, n’est qu’une petite pointe, loin de cette montagne imposante que nous connaissons. Les maisons de Campo Blenio ont la taille d’une tête d’épingle.
Nous suivons des yeux la bande de bitume qui virevolte dans la vallée. Au bord de l’un de ses virages, la voiture nous attend, loin, encore très loin.
Petite chute d’eau le long du Brenno della Greina.
Un pas après l’autre. Ce matin je n’ai pas fait le bon choix de chaussures. Mes Mendel sont parfaites à la montée, rigides, adhérentes et sûres mais deviennent de moins en moins confortables à mesure que la descente s’allonge.
Mais l’heure n’est pas aux lamentations. Un pas après l’autre. Une belle journée comme celle que nous venons de vivre, au milieu d’un paysage si grandiose et sauvage, ne peut se vivre en restant les fesses sur le canapé. Si le slogan « La montagne, ça vous gagne » reste vrai, je le complète en disant : « La montagne, il faut la gagner » !
Flore du jour
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Autoportraits du jour
Non loin du Passo della Greina. La petite cabane s’appelle Edelweiss.
En arrivant à la cabane camona da Terri CAS.
Idem, mais un tout petit peu plus proche.
Quelque part, sur l’Alpe di Camadra, près d’une cascade du torrent Brenno de la Greina.
Allez, la deuxième, je n’ai pas su choisir…