Passo San Giacomo et Laghi Boden

Partis d’un petit hameau sur la route du col du Nufenen, All’Acqua, nous montons au passo San Giacomo, et traversons la frontière italienne. De là, nous faisons le tour du lago Toggia avant de rentrer par deux jolis petits lacs alpins, les laghi Boden. La journée est placée sous le signe du ciel bleu et de la chaleur.

Hier soir, après le dîner, nous sommes sortis nous promener dans les ruelles d’Airolo. Nous avons terminé au cimetière, parcourant contentieusement les rangées de tombes pour localiser des personnes de la famille de Stefano, dont Airolo est le fief. D’ailleurs, ma carte d’identité suisse mentionne comme lieu d’origine : Airolo TI. Si si !  Nous avons ainsi trouvé un grand-oncle et un cousin au second degré ainsi que sa femme. Sur la tombe d’une autre famille, trois noms s’enchaînent, à quelques mois d’intervalle de l’année 1918. Trois jeunes gens. Cette année-là, la grippe espagnole a emporté plus de 25’000 personnes, les jeunes adultes étant les plus vulnérables avec les personnes âgées.

Les 22 coups de 11 heures et les 24 de minuit ont tenu leur promesse. Ce soir, nous fermerons les fenêtres.

Nous quittons la maison pleins d’entrain et allons dire bonjour aux lapins, confortablement installés dans une étable transformée en clapier. Il y en a une bonne quarantaine de toutes les couleurs et de tous les âges. Les effluves d’urine qui se dégagent de la porte grillagée abrègent toutefois nos observations.

Ce matin, le ciel est clair et l’altitude apporte un peu de fraîcheur. Nous repartons vers le col du Nufenen, passons plusieurs hameaux pour nous arrêter à All’Acqua. Lorsque Stefano prépare les vacances, il ne prépare pas que les itinéraires, il marque également les parkings possibles proches des départs de sentiers. Celui prévu a été pris d’assaut par les militaires. Camions, blindés et barrières métalliques ne laissent que quelques places vides, dont deux ou trois sont encore libres. Ouf. Un copain Pössl est garé là et ses heureux propriétaires sont en train de chausser leurs chaussures de randonnée.

Nous longeons la route quelques mètres avant de descendre vers le lit du fleuve Tessin qui, ici, est plutôt torrent que fleuve.

Et nous voici partis. Les sonnailles des vaches résonnent dans la vallée et le rumex s’épanouit.

Après 500 mètres environ, nous quittons les pâturages pour nous enfoncer dans la forêt. Les mélèzes et les fougères se partagent l’espace. Le sentier monte assez sèchement en faisant des zigzags. Les racines des arbres offrent de belles prises pour les pieds.

Une petite clairière nous laisse apercevoir le côté opposé de la vallée. Stefano nous a concocté une balade dans ce paysage minéral, pour aller voir un lac en contrebas d’un glacier dans lequel flotte des icebergs.

Nous arrivons à la limite des arbres.

Le rhododendron ferrugineux prospère. Ces feuilles vert foncé luisent au soleil. Nous sommes un peu tard dans la saison, car les rhododendrons fleurissent à peine quinze jours après que la neige les ait libérés de sa gangue… Cependant, il reste de larges zones où les fleurs sont encore d’un beau rose vif.

Nous sommes à Val d’Olgia, 2063 mètres. Déjà plus haut que les 1679 mètres de notre Mont Tendre adoré, point culminant du Jura vaudois. Et ici, les panneaux n’indiquent pas des itinéraires de randonnée pédestre, mais des chemins de randonnée de montagne. La pointe des panneaux est de couleur rouge et blanche.

Confine = frontière. Nous irons même respirer l’air italien. Tout un programme !

Après un petit raidillon, nous arrivons sur un replat. Deux bâtisses et une chapelle constituent le hameau de San Giacomo. Les deux bâtiments ont toutes les caractéristiques de bunkers déguisés en maison, telles la maison rose et la maison bleu, sises sur le Sentier des Toblerones, à Gland.

La chapelle, dédiée à Saint Nicolas, est minuscule et sa blancheur immaculée mais fait penser aux faces des maisons d’un village grec.

J’attrape la corde et la tire suffisamment pour que le battant vienne frapper la robe de la cloche. Son tintement résonne et des têtes se tournent vers moi. Oooops, aurais-je troublé la quiétude des lieux ?

Le replat comporte également une zone marécageuse, surplombée par le Pizzo San Giacomo.

Dans le prolongement du marécage, nous apercevons la croix qui marque le Passo San Giacomo et la frontière avec l’Italie.

Pendant des siècles, le Passo San Giacomo était utilisé pour les échanges commerciaux entre le nord de l’Italie et la Suisse et fréquenté par des marchands et des caravaniers avec leurs mules, voire des contrebandiers. Côté Suisse, les caravanes partaient depuis All’Acqua, où il existait un hospice qui accueillait les voyageurs affamés ou fatigués. On suppose par ailleurs que c’est par le Passo San Giacomo que des ancêtres de la famille de Stefano ont traversé la frontière en provenance du Val d’Ossola pour s’installer ensuite dans le Val Bedretto.

Devant nous, l’Italie et le val Toggia. L’herbe y est aussi verte qu’ici !

Le sentier se transforme en piste à deux ornières et nous la voyons descendre vers le lago Toggia puis le longer sur toute la longueur. De petites taches mouvantes y sont visibles tout au long. Certaines – des cyclistes – progressent plus vite que d’autres. Le lago Toggia est une destination prisée côté Italie, grâce à sa piste qui part du village de Riale.

Des piliers de pierre, dans un champ, nous laissent perplexes. Deux sont surmontés d’une croix. Il y en a quatorze, d’une hauteur de 1.60 à 2.60 mètres environ, car le terrain est en pente. Nous nous approchons. Sur l’un d’eux, une croix, mais ce n’est certainement pas sa fonction première.

Nous aurons la réponse quelques jours plus tard, lorsque la pluie nous fera visiter le musée du St-Gothard. Ces piliers sont des reliques d’un projet ambitieux des années 1930 rendu possible par la construction de la route en 1927. Sur ces 14 piliers de béton armé furent posés deux wagons de chemin de fer : un wagon-lit et un wagon-restaurant. Imaginé par l’architecte Piero Portaluppi, le complexe fut baptisé San Giacomo Pescatore et permettait aux randonneurs d’y loger et de s’y restaurer.

Le projet ne fut jamais fini, car, entre les deux wagons, devait s’élever un bâtiment de trois étages devant rappeler la silhouette d’un saint. Plus connu sous la dénomination Wagristorante, les ambitions expansionnistes de Mussolini durant la seconde guerre mondiale signèrent sa fin. La route et le col furent utilisés par les italiens fuyant l’Italie fasciste et raciste. Selon le témoignage d’un partisan, Salvatore Giordano, il fut incendié lors de la libération.

Le long de la route, au passage des torrents qui viennent se jeter dans le lac, des ponts ont été construits qui, pour certains, arborent encore de jolis parapets.

Au barrage, en regardant en direction du passo San Giacomo.

Initié en 1929, terminé en 1933, cet ouvrage n’est pas très imposant. Sa hauteur ne dépasse pas 50 mètres et sa longueur n’atteint pas 200 mètres. Le couche de béton qui recouvre le mur a vu des jours meilleurs.

Nous le traversons car de l’autre côté démarre le sentier que nous allons emprunter pour le retour.

Il commence par suivre sur quelques mètres le lac.

Puis il s’en éloigne pour traverser une zone marécageuse ponctuée de petits plans d’eau.

Certains ont des couleurs qui nous rappellent les pools de Yellowstone. Aucune fumerolle ne s’en échappe, ce qui est bon signe.

Une grande digue sépare la zone marécageuse du lago Castel. Nous cherchons un coin pour manger depuis quelques longues minutes déjà et nous décidons de nous arrêter par là.

L’endroit ne remportera pas la palme du coin à pique-nique le plus sublime, mais quand la faim tenaille, il ne faut pas faire la fine bouche.

Là, c’est le côté idyllique.

De l’autre côté, le lago Castel, dont les rives sont de longues langues de graviers et cailloux jaunâtre. Le voici alors que nous avons pris un peu de hauteur. Des gens sont allongés sur la grève, comme sur une plage.

Petit lac de montagne à l’origine, il faut agrandi par la construction entre 1924 et 1928 d’un barrage en pierre sèche de 17 mètres de hauteur, destiné à fournir de l’hydroélectricité. C’était sans compter sur la nature du fond du lac, poreuse et perméable, qui rendit très vite l’installation inutile. Le barrage fut décommissionné dans les années 50.

La première montée jusqu’à un ensemble de cabanes de pierre me laisse… haletante. La reprise après la pause n’est jamais mon fort.

Puis, le sentier devient plus lascif, évoluant entre prairies bien sèches et caillasse, contournant des mares et petits lacs.

Certains disparaîtront durant l’été.

Deux semblent cependant subsister, car ils ont leur nom sur la carte : les laghi Boden.

L’eau du premier, le plus petit, est cristalline.

Et voici le second, le grand frère.

Entre les deux lacs, une bifurcation de sentier et un sentier qui part vers la bochetta di Val Maggia. Lorsque je propose à Stefano d’y monter, juste pour le plaisir de voir le paysage de l’autre côté, notamment Robièi et ses nombreux lacs, où nous nous sommes baladés en septembre 2021, il regarde sa montre et secoue la tête. Dommage.

Au bord du lac, un pêcheur. Nous discutons un peu avec lui et avant de partir, Stefano lance : « buona pesca ! ». Et l’homme de répondre : non, non, il ne faut pas dire ça, ça porte malheur ! Stefano s’excuse et demande : qu’aurais-je dû dire alors ? Il réfléchit un peu et dit, un grand sourire aux lèvres : « in culo alla balena », c’est à dire « dans le cul de la baleine » ! Nous éclatons tous de rire. Après recherche, cette expression, très imagée et un peu vulgaire aussi, est utilisée en italien de la même manière que le « merde » en français pour souhaiter bonne chance. La réponse attendue, lorsque quelqu’un utilise cet idiotisme est : « speriamo che non caghi » – espérons qu’elle ne chie pas ! La version plus politiquement correcte serait « in bocca al lupo » – dans la bouche du loup.

Nous partons ensuite en direction d’un petit col, ourlé d’une belle plaque de neige.

De là, nous avons une magnifique vue sur les laghi Boden.

Un peu en arrière, je contourne le névé car j’ai vu une tache rose à l’abri d’un petit rocher (voir Flore du jour).

Le lago Toggia est toujours sur notre gauche, quelques 200 mètres plus bas. Sur notre droite, des dents rocheuses dont le Kastelhorn, le Pizzo Fiorina et le Marchhorn.

Nous nous approchons d’une zone un peu particulière. Ce que nous avions pris pour de la neige est en réalité une roche.

À la vue de l’érosion, elle doit être très tendre. Peut-être de la dolomie ?

Nous avons dépassé la pointe du lac. Le passo San Giacomo est maintenant notre prochaine étape.

Le voici !

Et là, un tout petit abri, tout de pierre vêtu.

La croix du col, en regardant vers l’alpe San Giacomo.

Nous refaisons un petit tour vers la chapelle mais je m’abstiens de faire retentir la cloche.

A peine nous sommes nous éloignés de quelques mètres, que son ding-dong résonne. Nous nous retournons. Un randonneur, hilare, vêtu d’une veste bleue à manche longue, la capuche lui couvrant la tête, semble tout content de nous avons surpris. Nous lui faisons un signe de la main.

Nous avons croisé nos traces du matin. La boucle ne sera pas parfaite, à l’inverse de la balade. Il nous reste cependant plusieurs options – trois pour être précise – pour retourner à la voiture. Nous choisissons la plus longue, donc celle qui ménagera nos genoux et petits petons.

Et qui est accessoirement une piste de VTT.

Un autre alpage perdu, envahi par le rumex.

Le dernier bout se fait entre pâturage boisé et forêt.

Les mélèzes sont omniprésents. Leur tronc et le port de leurs branches sont très différents des sapins du Jura. Certains troncs se terminent même par des champignons !

Le hameau All’Acqua, avec les véhicules militaires.

Lorsque nous passons le pont qui enjambe le torrent Tessin, quelques personnes font trempette. Nous longeons très prudemment la route pour rejoindre la voiture.

Les deux heureux propriétaires du copain Pössl viennent de rentrer de leur randonnée. Nous échangeons un signe de tête et un sourire.

A côté de la voiture, une grosse Harley est arrêtée.  Son propriétaire, assis sur la grosse selle de cuir, attend le TCS. Il espère pouvoir réparer et repartir. Il est philosophe et garde le sourire, même si sa moto sort d’une révision. A la retraite depuis 7 ans, il nous dit qu’il a le temps. Ce qui ne l’empêche pas de cuire, sous sa grosse veste de cuir. Car oui, aujourd’hui il a fait chaud, et sacrément chaud. Et ce n’est pas fini !

Itinéraire du jour

C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.

Flore du jour

Marguerite des Alpes - Leucanthemopsis Alpina
Marguerite des Alpes – Leucanthemopsis Alpina
Marguerite des Alpes - Leucanthemopsis Alpina
Marguerite des Alpes – Leucanthemopsis Alpina
Gentiane Acaule - Gentiana Acaulis
Gentiane Acaule – Gentiana Acaulis
Trèfle Alpin - Trifolium Alpinum
Trèfle Alpin – Trifolium Alpinum
Trèfle Alpin - Trifolium Alpinum
Trèfle Alpin – Trifolium Alpinum
Aster des Alpes - Aster Alpinus
Aster des Alpes – Aster Alpinus
Gentiane Printanière - Gentiana Verna
Gentiane Printanière – Gentiana Verna

Autoportraits du jour

Sur le barrage du lago Toggia.

Prêts pour le retour ; il commence ici, à cet endroit précis.

Quelque part sur le chemin du retour. Le passo San Giacomo est tout à gauche, près du poteau électrique.

Références externes

En italien

En français

   
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À propos de Marie-Catherine

Randonneuse, blogueuse et photographe amateur chez Two Swiss Hikers.

En phase de préparation de voyage, je m'occupe du choix voire de l'achat du matos et organise les bagages. Ma principale activité consiste à me réjouir des vacances qui arrivent ! Je deviens plus active au retour : il faut trier les photos (et des photos, il y en a...) et rédiger les billets de ce blog.

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