Partis de Menzonio, nous explorons une partie la montagne qui surplombe le village. Le village de Monti di Rima habité durant tout l’année jusque dans les années 1950, a été superbement restauré.
Il a plu cette nuit. Une belle averse qui nous a réveillés. Enfin, réveillés est un grand mot. Nous avons refait surface, entendu la pluie, avant de sombrer à nouveau. Ici à Cevio, c’est le silence total.
Donc au réveil, les nuages sont bas, enrobant les flancs des montagnes et absorbant leurs sommets. La météo ne semble pas très sûre d’elle-même : elle annonce une journée plus ou moins sèche dans une vallée, et franchement humide dans la vallée voisine.
Stefano choisit donc la vallée avec la plus longue durée d’ensoleillement prévue (soit un peu plus d’une heure) et une balade pas trop longue, afin que nous puissions nous retrancher si nécessaire.
Nous partons donc vers Menzonio. De Cevio, nous passons à Cavergno puis, au lieu de nous enfoncer dans le Val Bavona, bifurquons au nord direction le Val Lavizzara, vers Brontallo. Menzonio est le bled suivant.
Alors que nous nous préparons, un vieux monsieur édenté passe. En bons citoyens suisses, randonneurs de surcroît, nous le saluons de concert. Il lève un œil et nous répond du bout des lèvres. Stefano lui demande « comment ça va » dans le patois local et le voilà du coup moins méfiant et beaucoup plus loquace. Les sons de cette langue me ravisse car ce sont des sonorités que nous n’avons pas en français : de « eu » très fermés à prononcer en baissant la tête ou encore des « u » traînants à souhait.
Nous traversons le village, aux vieilles maisons de pierre et aux ruelles étroites. Deuxième rencontre avec un local, qui se promène une scie à la main. Même changement d’attitude lorsque Stefano s’exprime dans sa langue. Nous parlons de notre destination, Monti di Rima, un alpage dont la rénovation est exemplaire. Il nous dit que les bâtisses des alpages de « sa » montagne ont eu beaucoup moins de chance et qu’elles s’effondrent faute de soin. Lui-même monte aujourd’hui couper du bois dans l’un deux. A pied lui demande Stefano ? Ma no, cul tratuuur (en tracteur) ! Moi je rigole dans ma barbe. Cette langue, elle chante tellement !
Eh oui, aujourd’hui, point de ciel bleu !
Nous traversons quelques pâtés de maison, éparpillés entre forêt et prés. Une dame, un zacky-boy en bandoulière, coupe patiemment l’herbe d’un pré. Le temps que nous passions, je me rends compte de la lenteur avec laquelle elle progresse. Je regarde le pré et me dis que la journée ne suffira pas. Nous entendrons longtemps encore le rugissement du moteur de l’engin.
Que la montée commence !
Très vite, et sitôt que la pente s’accentue, le sentier se transforme en escalier. Attention, je n’ai pas dit escalator : ça ne monte pas tout seul. Les marches sont un peu moins régulières qu’hier, que ce soit en hauteur et en largeur. La construction est un peu plus « primitive ».
Un premier oratoire permet au marcheur épuisé de s’arrêter pour se recueillir. Ou de gaspiller quelques milliers de pixels.
Un peu plus loin, ce n’est plus un oratoire, mais une cappellona, soit une grosse chapelle. Pour ça, la langue italienne est vraiment sympa : tout mot (ou presque) à son diminutif et son augmentatif. Du plus petit vers le plus grand : cappellina – cappelletta – cappella – cappellona. Après, une jolie chapelle se dira cappelluccia tandis qu’une moins jolie chapelle (comprenez moche) se dira cappellaccia.
En cas d’intempérie, cette chapelle est également un abri. Son toit robuste n’a que faire de la foudre.
Le sentier continue dans la forêt. Parfois zébré de racines de châtaigniers, parfois rocailleux et donc un peu glissant, parfois boueux, il y en a pour tous les goûts. A part quelques endroits un peu plus rudes, la montée est douce et nous passons de 800 à 1000 sans vraiment nous en rendre compte.
Nous arrivons ainsi dans un alpage abandonné ou la majorité des maisons tombent en ruine. Le lieu se nomme A Mognèe d Zòtt. Rien que ça ! Peut-être est-ce un des alpages laissés à l’abandon dont nous parlait le monsieur, rencontré à Menzonio.
En réalité, on ne peut pas dire que les constructions soient à l’abandon. Elles tombent en ruine, certes, mais sont rafistolées de bric et de broc et surtout ont un cadenas sur la porte (ou la planche qui sert de porte).
La végétation les absorbe lentement mais sûrement.
Nous traversons le pré boisé au bout duquel ont été construites d’autres maisons. Nous avons l’impression de changer de pré tant par endroit les arbres sont nombreux mais il y a 60 ans, ce n’était qu’un seul et même pré. La nature a horreur du vide.
Une centaine de mètres plus loin, une grande bâtisse, encore bien solide, dont certaines fenêtres ont encore des vitres.
Nos mollets n’ont pas aimé les caresses appuyées des orties. Ils ont tellement bonne mémoire que nous devrons sortir notre roll-on Parapic. Parapic, c’est magique !
On les voit bien, mesdames les orties, sur la photo ci-dessous, bordant les marches et recouvrant le terre-plein, devant la maison.
Après un passage dans la forêt, nous retrouvons un pré. Sans entretien régulier, le sentier disparaîtrait le temps d’un été.
Nous sommes à A Mognèe d Zóra. Alors petite explication. Dans le Jura, nous avons des « dessous » et des « dessus ». Par exemple, du côté de Châtel, il y a le pré de l’Haut Dessus et le pré de l’Haut Dessous. Ici, au Tessin, il y a le (a)d Zótt pour dessous et le (a)d Zóra pour dessus (ou sopra et sotto, en italien).
Nous quittons A Mognèe d Zóra par son extrémité nord, délimitée par un mur de pierre sèche qui a vu des jours meilleurs.
S’ensuit une belle traversée dans une forêt, bosco di Rima, principalement constituée de feuillus. Le terrain redevient très varié : rochers, racines, boue, escaliers, avec, par endroit, le tout recouvert de feuilles mortes.
Les troncs des arbres ondulent. Très souvent, ils sont collés entre eux à la base, se séparant gracieusement en prenant de la hauteur.
Au sortir de la forêt, nous arrivons à Monti di Rima.
Aujourd’hui, Monti di Rima ressemble à un village de vacances pour personnes privilégiées. Les jardins sont au naturel mais entretenus et aucun toit n’est à demi-effondré.
La délimitation entre le sentier et les zones privées est si incertaine que nous arrivons involontairement dans la cours d’une maison. Une dame est dehors et ne s’offusque pas de notre intrusion. Au contraire, elle pense que nous sommes ici pour visiter la Casa Tonini et nous explique que la maison en question appartenait à un oncle à elle (du côté de sa mère, nous dit-elle).
Puis elle se propose de nous montrer l’intérieur. Elle ouvre la porte de la maison et s’affaire. Elle allume des bougies, qu’elle place derrière trois panneaux métalliques avant de fermer la porte pour que la pièce s’assombrisse. Sur les panneaux métalliques, les lettres des textes en été découpées. La lumière filtre au travers des lettres, permettant la lecture.
En me relisant, je doute de la clarté de mes explications. Voici donc image, trouble, certes, qui devrait aider.
Trois tabourets rudimentaires, constitués de section de tronc d’arbres, permettent aux visiteurs de s’asseoir. L’obscurité, la lumière jaune des bougies, ainsi que la nature des textes incitent au respect et invitent au recueillement.
Un récit raconte comment, en janvier 1667, le mercredi 19, quinze habitants du village ont été tués par une avalanche de neige qui traversa le village. Des familles entières décimées. De 30 à 5 ans.
Un texte rappelle que Monti di Rima fût le grenier des villages de Broglio et Prato. Les cultures de pommes de terre et de seigle alternaient, une année sur deux. Et ce malgré l’absence de source d’eau pour irriguer. Les habitants devaient constituer des réserves et chaque maison avait qui son puits, qui sa fontaine, qui sa citerne. D’où cette énorme fontaine monolithique, près de l’église.
Enfin, un troisième écrit relate un hiver particulièrement précoce, où la neige s’installa dès le 13 novembre 1950, alors que les vaches étaient encore à pâturer. Le troupeau descendit en plusieurs étapes pour arriver le 8 février de l’année suivante à Broglio. Mais pour cela, il fallut déblayer, les vaches s’étant enfoncées dans la neige. En remontant à Monti di Rima le 13 avril de la même année, il y avait encore un mètre et quatre-vingts centimètres de neige. Ça ne fait pas rêver…
La dame nous encourage ensuite à visiter le premier étage de la casa Tonini. Elle fut édifiée en 1581 et n’a quasiment pas changé depuis. Son ultime habitant, Renato Tonini, décédé le 30 mars 2018, légua sa maison à une association, lui demandant de la conserver telle que, comme témoignage du passé.
Voici le premier étage.
Les alentours de la casa Tonini, depuis le premier étage.
En sortant, nous passons devant la porte entrouverte de la maison voisine de celle de la dame. La maison appartient à un neveu à elle, qui est en train de la retaper petit à petit. Elle nous propose une visite. Extérieurement, la maison est de pierre et les poutres de vieux bois qui permettaient à l’air de circuler et de faire sécher le foin ont été conservées. L’intérieur est en train d’être superbement aménagé. De neuf moderne dans du vieux. Au rez, un WC et une douche. Le sol et les murs sont recouverts de large dalles noires rectangulaires. Une partie de la maison est appuyée contre un rocher et la roche a été polie et laissée apparente dans un coin de la douche. Une pure merveille. Un arc en ciel de couleur. Les escaliers qui montent à l’étage sont en bois poncé clair. Nous apercevons des rangements faits sur mesure. Ça promet d’être magnifique.
Puis, pour clore notre rencontre, elle nous raconte sa mésaventure de la nuit passée : elle a été réveillé par un bruit au milieu de la nuit, elle s’est levée et à allumé la pièce principale, pour y découvrir une chouette hulotte, qui était vraisemblablement tombée par la cheminée. Autant dire que le pauvre rapace était tout paniqué, tout comme la propriétaire la maison par ailleurs, et qu’il a fallu un bon moment pour que la pauvre chouette retrouve sa liberté. Drôle d’histoire, mais vraie, puisqu’elle nous a montré un photo du volatile posée sur la cheminée.
Voici un bel autre exemple de rénovation.
L’église, et son banc à rallonge.
Nous quittons Monti di Rima et continuons notre balade sur les flancs du Pizzo di Brünèsc. Le ciel est tout gentiment en train de se dégager et les trous de ciel bleu s’agrandissent à vue d’œil. Nous changeons d’alpage pour arriver à Rima di Prato.
Il est temps de quitter le confort de la route pour un sentier.
Et quel sentier !
Nous ne trouvons un endroit propice au pique-nique que vers 13h30. Nous sommes à Cortóm.
Repartis, nous marchons au petit bonheur la chance. L’itinéraire prévu par Stefano, assez souple, nous offre beaucoup de liberté et nous permet de butiner.
Sans trop savoir comment, après une courte montée dans les bois, nous arrivons sur une zone ouverte sur laquelle sont perchés deux chalets. Le lieu s’appelle El C’Alp. La porte des chalets s’ouvre sur un minuscule terre-plein qui se jette dans le vide. Mieux vaut ne pas être sujet au somnambulisme.
Sur ce pâturage que tu as aimé merci pour l’empreinte que tu as laissée.
Je comprends cette phrase comme un hommage aux habitants de ces vallées (et plus particulièrement de cet alpage) qui se sont battus pour survivre, se cassant le dos pour construire des sentiers et des maisons, déboisant la forêt pour aménager des surfaces arables, malmenés par la rigueur du climat et la rudesse de la montagne.
Nous commençons le retour.
Une descente assez brutale, entre forêt et fougères, nous amène à La Revöra ad Zóra.
Puis, bien sûr, à La Revöra ad Zótt, où se dresse la croix, aperçue ce matin depuis le parking.
Quelques bâtiments de l’alpage, en assez bon état.
Dissimulées par la forêt, le long du sentier, d’autres constructions, qui, elles, ne seront jamais réhabilitées. Surtout lorsque le toit s’est effondré. Quelqu’un nous disait que les autorisations de rénovation et les subventions qui vont avec étaient plus compliquées à obtenir sitôt que le toit s’était écroulé.
Pourtant, le sentier qui descend de ce hameau avait été construit pour durer.
Un petit peu au nord de Pianezza, nous retrouvons nos traces du matin. Le ciel est bien dégagé et c’est tout joyeux que nous redescendons à la voiture.
Très « urbaine », la randonnée du jour a été très douce pour nos jambes et très instructive. Arrivés à la voiture, nous regardons la montagne sur laquelle nous étions. Nous ne voyons qu’une pente raide recouverte d’arbres. Un mot nous vient à l’esprit : impénétrable. Et pourtant !
Itinéraire du billet
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Autoportraits du jour
A Cortóm.
A Cortóm encore. Je n’étais pas très sûre de la qualité de la première. Alors une seconde me semblait une bonne idée.
En rentrant, presque arrivées à la voiture, à Menzonio. Une fontaine où nous nous sommes arrêtés pour boire. A côté un mur uni d’une jolie couleur. Et clic-clac.