Nous découvrons le lac Tremorgio ainsi que les pâtisseries du restaurant éponyme. Grâce ou à cause de la pluie. Cette dernière nous empêchera de monter au passo Campolungo depuis la capanna Leìt. La journée est néanmoins mémorable de par ses paysages somptueux.
La météo du jour n’est pas au beau fixe : un millimètre de pluie annoncé vers 13h, orage dès 17h. Nous jugeons qu’un petit millimètre de pluie n’a jamais fait fondre un randonneur, suisse de surcroit. L’orage en fin d’après-midi nous inquiète un peu plus mais nous avons constaté, lors de nos vacances précédentes ici même au Tessin, qu’il peut y avoir un spectacle son et lumière dans une vallée alors que le soleil brille dans la vallée d’adjacente. Nous verrons bien.
Nous laissons les nuages derrière nous, accumulés vers le St-Gothard et le col du Nufenen et partons vers Quinto pour nous arrêter à Rodi, un petit hameau sur le côté sud de l’autoroute. Au départ du parcours Vita, quelques places de parking, sous un cerisier sauvage dont les fruits, certes petits, mais d’un beau rouge presque bordeaux, sont étonnamment sucrés. Sauvages ou pas, je ne me permets pas plus que deux ou trois cerises, afin d’éviter quelques chevrotines dans les fesses, au cas où le propriétaire ait réservé les fruits aux moineaux.
Pendant que Stefano allume son GPS, j’étire mes mollets car la zone d’échauffement risque d’être encore plus courte qu’hier.
Après une courte marche dans le pré, nous pénétrons dans la forêt. Les feuillus sont en majorité, parsemés de mélèzes dont certains affichent un tronc imposant.
Plutôt que de monter face à la montagne, le sentier va et vient, par zigzag. La pente est donc douce et le plaisir maximal.
Le sentier a été construit pour durer, des murs de soutènement venant le consolider lorsque nécessaire. Les marques rouges et blanches sont espacées et timides. Mais, en même temps, à moins de le vouloir, impossible de se perdre : en dehors du sentier, des pentes abruptes recouvertes de végétation dense. Nous voyons une cabine bleue se balancer sur un câble, à proximité d’un pylône. Un peu plus bas, à Rodi justement, part un téléphérique actif l’été seulement, montant les touristes vers un petit lac, lago Tremorgio. Il est très prisé des randonneurs, également, car du lac, partent, dans diverses directions, d’autres sentiers escarpés.
Au terme d’une vingtaine de virages, nous arrivons à Cassine di Vènn, un petit pâturage d’où émergent deux ou trois étables.
Depuis un moment, le sentier est bordé de fil bleu ou blanc, tendu par des piquets de plastique. Peut-être en prévision d’une prochaine montée, car en tout cas, le pâturage est vide et les herbes encore hautes et dressées.
La pente s’accentue, de même que l’exposition au vide. En bas, point de rocailles ou de falaises, mais de la végétation luxuriante et exubérante. Il faut s’en méfier même car elle borde le chemin qui semble plus large grâce à elle. Mais il n’en est rien. Un pas de travers et le pied n’a plus de prise.
Les virages se resserrent alors que nous nous approchons de la conduite forcée qui part du lac, un peu plus haut.
Une vieille roue de téléphérique est exposée au bord du chemin. Construite entre 1883 et 1886, le téléphérique permettait de transporter des passagers mais aussi, à la fin du printemps, de descendre de la glace extraite du lac, glace qui était ensuite transportée par train et vendue à Milan, Côme et Lugano.
Un petit replat puis le lac Tremorgio se dévoile, presque parfaitement circulaire.
D’ailleurs une ancienne croyance avait attribué son origine à un cratère formé par une météorite. En réalité, il n’en est rien. Il n’est « que » l’œuvre d’un glacier dont l’action érosive fut facilitée par la nature de la roche, riche en carbonate de calcium, propice à la dissolution. En 1929, un gemmologue tessinois, Carlo Taddei, découvrit une pierre remarquablement transparente : la scapolite. Son cristal peut atteindre jusqu’à 7 cm de long. Sa couleur va de la transparence au jaune, en passant parfois par le violet clair. Au jour d’aujourd’hui, son prix au carat varie entre 24 USD pour la transparente à 96 USD pour la violette. On est loin des 25’000 USD du diamant pour un carat d’excellente qualité.
Un sentier, visible de loin, en fait le tour et nous invite à le suivre.
Sur le pourtour, la végétation est rare, le sol très sec et sablonneux. Le niveau du lac est bas, la quasi-absence de neige tombée cette hiver en étant la cause.
Le côté sud du lac est sous les falaises et la végétation beaucoup plus luxuriante que son côté opposé. Les ancolies des alpes ont colonisé les pentes, se mélangeant avec les géraniums.
Le ciel est en train de se couvrir. Le soleil se fait plus rare et les nuages plus menaçants.
Nous nous dirigeons vers le restaurant. Un des travailleurs occupés à l’entretien du téléphérique est là, attablé devant un verre de blanc, la cigarette fumant au coin de sa bouche, son bleu de travail orné du logo AET, A pour Azienda, E pour Elettrica et T pour Ticinese.
Nous commençons par une boisson. Stefano, à son habitude, reste debout, marchant de-ci, de-là. Ses pas l’amènent près du frigo vitré, à l’extérieur, près de la porte. Il me fait signe de venir voir. A l’intérieur, un éventail de gâteaux et tartes, tous et toutes plus appétissants les uns que les autres. Stefano, le sourire en coin, me demande si je suis partante pour une part. J’acquiesce. Le plus dur est de choisir lequel des desserts va finir dans notre assiette. Nous optons pour une sorte de crumble aux fruits rouges. Nos assiettes arrivent quelques minutes plus tard, agrémentées d’une belle portion de crème fraîche.
Alors que nous attaquons avec enthousiasme la généreuse portion de gâteau, il se met à pleuvoir. Les grosses gouttes de pluie ont tôt fait de former un rideau de pluie dense. La toile sous laquelle nous sommes abrités résonne. L’instant est magique. Cette averse aurait pu être une galère mais nous la savourons, au moins autant que notre pâtisserie faite ici même. Le ciel s’éclaircit déjà. Les gouttes s’étiolent. Pour prolonger l’instant, nous commandons deux cafés. Que nous sucrons sans vergogne. Le ciel s’est dégagé et devant nous se profile la montée vers un col anonyme.
Nous descendons une nouvelle fois vers le lac, afin de profiter de la belle lumière. Le soleil est revenu, et même si le ciel est encore bien chargé, nous ne voulons voir que les coins de ciel bleu.
Puis, c’est la montée. Nous avons vu le sentier alors que nous tournions autour du lac et il nous semblait n’être qu’une grande traversée plane. En fait, si grande traversée il y a, il faut d’abord se mettre à niveau.
Quelques virages bien serrés ont tôt fait de nous faire redescendre sur terre, après notre moment de bonheur paradisiaque. Mais tout est une question de temps. Les jambes, les poumons et le cœur finissent par se mettre d’accord et bientôt fonctionnent à l’unisson.
Nous arrivons au col où nous avons une vue plongeante sur le lac Tremorgio.
Devant nous, l’Alpe Campolungo, et une vaste zone plane marécageuse, traversée par un ruisseau qui prend ses aises et progresse via de grands méandres. Sur notre gauche, un pic vert de végétation, un autre blanc comme neige et en face un éperon strié de gris. 50 shades of grey.
Au centre, dominant le marécage, des pics de granit, dentelés et acérés. Légèrement sur la droite, un col, le passo de Campolungo. Une bande de dolomite blanche dessine une apostrophe horizontale dans des pans de pairies vertes et de falaises grises. Nous sommes dans une zone riche en dolomite, une roche blanche et friable.
Nous commençons par la gauche et poussons jusqu’à un autre col, le passo Vanit, dominé par l’éperon rocheux. La lumière ne le met pas à son avantage mais comme dit Stefano, il ne va pas bouger d’ici à ce que nous revenions, un jour.
Nous partons ensuite en direction de la capanna Leìt, par un sentier alpin, très varié, un peu technique, qui nous fait gagner encore 120 mètres d’altitude.
Nous laissons la cabane pour plus tard et allons découvrir le lac éponyme.
Les nuages se font à nouveau menaçants.
Nous trouvons un rocher plat, entre le lac et la cabane et nous nous y installons pour le pique-nique du jour. Même si nos estomacs ne sont encore pas tout à fait remis de notre gourmandise, il est 14h passées.
Pour éviter l’averse qui se prépare, nous nous rabattons vers le refuge. La température a soudainement chuté et nous visualisons un chocolat chaud. Nous hésitons un moment car le prix à payer pour pénétrer dans le restaurant est d’ôter ses chaussures et enfiler des crocs. Un coup d’œil supplémentaire sur les pics environnants qui disparaissent sans la brume nous convainc que l’effort à fournir est moindre.
Nous pénétrons dans la salle commune, jouxtant la cuisine. Deux femmes sont affairées aux fourneaux. Nous les entendons discuter avec bonne humeur et complicité. Nous commandons deux chocolats chauds et observons, par les fenêtres, les nuages s’effilocher et s’accrocher aux cimes, puis les passer pour descendre vers nous. L’averse ne vient pas. Nos tasses sont fumantes et nous obligent à les déguster à petites lampées. Puis vient le moment de prendre une décision : attendre encore ou sortir.
Alors que nous enfilons nos chaussures, les nuages se déchirent laissant apparaitre un, puis deux rayons de soleil. Le temps de retourner au lac, ils ont disparu.
Alors que nous nous rapprochons du refuge, ils reviennent encore. Nous nous donnons une dernière chance. Notre tracé va ressembler à une assiette de spaghetti, rigole Stefano. Cette fois est la bonne. Un rai de lumière filtre et éclaire le lac de Leìt.
Nous pouvons repartir satisfaits.
Initialement nous avions prévu de monter au passo Campolungo. Nous voyons le sentier qui serpente sur la roche blanche. Vue l’heure et la météo, nous jugeons préférable d’amorcer le retour.
Le sentier nous amène en bordure de la zone marécageuse.
Des marmottes s’y ébattent, courant, sifflant, sautant d’une rive à l’autre du ruisseau. Si elles règnent en maître ici, l’hiver elles hibernent, laissant au lièvre variable la souveraineté des lieux. Car oui, ici, Monsieur Blanchot, ou Blanchon, plus familièrement, a élu domicile. C’est un lointain cousin du snoeshow rabbit dont nous avions vu un exemplaire au visitor center du Mont Rainier.
La cascina di Campolungo.
La descente vers la capanna Tremorgio se fait promptement. Nous ne pensons maintenant plus qu’à une seule chose : arriver à la voiture avant la pluie et surtout l’orage.
Passée le restaurant, nous accélérons encore l’allure et c’est au pas de course que nous dévalons le sentier. Il a séché depuis l’averse de tout à l’heure et nos chaussures s’agrippent sur les aspérités des rochers ou les racines qui affleurent.
Il y a juste un fil de cuivre, aperçu à l’aller, tendu de part et d’autre du chemin, qui tente de me faire trébucher. Je me rattrape de justesse. Et puisque je me suis arrêtée, j’en profite pour photographier ce champignon étrange.
De l’autre côté de la vallée, le tonnerre gronde et les cimes ont été englouties par les nuages. La chaleur monte, amplifiée par l’humidité. Après avoir dépassé le pâturage Cassine de Vènn, le tonnerre se fait plus discret. Nous pensons être tirés d’affaire jusqu’à ce que, à une centaine de mètres de la voiture, la pluie nous rejoigne et trois coups de tonnerre très insistants viennent nous donner des ailes.
Nous courons à petits pas et nous engouffrons dans la voiture alors que des gouttes aussi grosses que des pièces de 5 francs viennent s’écraser sur le pare-brise. Nous sommes trempés de sueur.
Sur la route cantonale, nous trouvons une station-service dont le toit, large et protecteur, nous offre un refuge contre les éléments déchainés. Nous pouvons ainsi libérer nos pieds des chaussures de randonnée. Lorsque nous fermons les portières, une odeur de pieds se propage dans la voiture. Nous éclatons de rire et rentrons à Airolo sous une pluie battante, heureux de notre journée et encore plus heureux du dénouement.
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Au lac Tremorgio.
Au lac de Leìt.
Pas contents, car il ne fait vraiment, mais vraiment pas beau.