Ça y est, ce sont les vacances… Enfin. Nous sommes arrivés hier en fin d’après-midi à Cevio, notre camp de base pour les deux semaines à venir. Les courses sont faites, le frigo est plein pour les deux ou trois jours qui viennent. La Coop est à 3 minutes en voiture de la maison et ferme à 19h tous les jours sauf le samedi où les portes sont closes à 18h30. Rien à redire. Je me rappelle encore de l’époque où Coop et Migros fermaient à 18h la semaine et 17h le samedi. Le stock de barres Clif (environ 120) a été commandé il y a quelques semaines et transporté dans la voiture.
L’appartement est très correct avec une grande terrasse de plein pied. Le seul bémol est l’absence de lit matrimonial qui va nous contraindre à dormir dans deux petits lits, espacés de 60 cm.
Stefano, toujours très attentionné et soucieux de mon bien-être, choisit une randonnée facile pour notre premier jour. Mieux vaut ne pas me tuer tout de suite…
Partis de Cevio, nous nous engouffrons dans le Val Maggia qui devient Val Lavizzara sitôt que nous sortons de Cavergno. La route est étroite et sinueuse. Il y a clairement deux catégories de voitures : celles immatriculées TI (pour Tessin-Ticino) et les autres. Celles suisses viennent principalement des cantons alémaniques. Les plaques allemandes sont nombreuses, très nombreuses. Qu’importe les plaques, il suffit d’analyser la conduite : les plus rapides et les plus audacieux sont d’ici. Les plus poltrons et lents sont les étrangers, comme nous.
Passé le village Peccia, la route se rétrécit encore en une longue succession d’épingles à cheveux. Les murs de soutènement, tout comme la majorité de maisons ou étables des villages traversés sont en belles pierres d’ici, un magnifique granit d’une belle couleur grise.
Nous laissons la voiture près de Mogno. Sur le parking, à quelques mètres, un couple prend son petit déjeuner, assis sur des chaises de camping, les bonnets vissés sur la tête et les doudounes soigneusement fermées. Leur Peugeot Partner Tepee a été aménagée. Le matelas a été plié et le coin cuisine déplié. Nous finissons de nous préparer en les observant du coin de l’œil. Et forcément, lorsque nous passons près d’eux, la conversation s’engage. Ils viennent de Poitiers. Le Futuroscope, ajoutent-ils, pour nous aider à localiser la ville. Ils attaquent leur troisième semaine de camping itinérant. Lui ne peut pas trop marcher, et ils nous avouent que leurs randonnées durent rarement plus de 4 ou 5 heures. Qu’importe, dis-je. Ce n’est pas tant la durée, c’est le plaisir qui compte. Ils sourient.
Le petit village de Mogno est principalement connu pour son église Saint-Jean Baptiste, construite entre 1994 et 1996 par Mario Botta, sur le site d’une ancienne église, détruite par une avalanche en 1986. Ce qui me rappelle la chapelle Saint Benedict, construite en 1988 par le célèbre architecte Peter Zumthor, elle aussi bâtie à proximité du site d’une ancienne chapelle détruite et reconstruite maintes fois jusqu’à ce qu’une avalanche de poussière signe sa destruction définitive, en 1984. Nous l’avions visitée lors de notre randonnée au Lag Serein.
Le ciel est encore couvert mais nous sommes confiants.
La chapelle a été érigée au bout d’une longue esplanade.
Des lignes droites et courbes s’entremêlent.
De même que les époques.
Je m’approche. La porte se cache derrière les escaliers qui n’en sont pas, vu la hauteur de la première marche.
L’endroit est désert. La lumière rentre par le toit.
L’abside attrape mon regard qui se perd dans l’échiquier qui se rétrécit, telle une illusion optique.
Je suis fascinée par le mélange des matières, le granit, le marbre et le bois clair. Les bancs sont peu nombreux : deux étroits devant l’autel et deux en demi-cercle, dans deux chapelles rayonnantes.
Stefano attend patiemment que j’ai fini mon gaspillage de pixels. J’aurai pu y passer la journée, à la recherche de l’angle parfait et de la combinaison idéale des paramètres du triangle magique.
La première étape consiste à rejoindre le village de Fusio par une piste forestière puis un sentier qui nous permet de couper quelques virages.
Fusio se profile au loin.
Il est un peu plus que 9h. Un car postal arrive et déverse des groupes de randonneurs. Nous qui avons eu parfois de la peine à négocier les épingles à cheveux avec notre Juke n’osons imaginer la difficulté pour le car. Mieux vaut ne pas arriver en face.
A l’entrée du cimetière, nous retrouvons une symbolique entrevue hier soir, lors de notre petite balade digestive près de l’église de Cevio : des squelettes ou des têtes de mort dessinés à proximité d’un édifice religieux. Quelques recherches m’orientent vers le thème de la Danse macabre. Voici un extrait Wikipedia sur le sujet.
Tout au long du XVème siècle et au début du XVIème, ce thème est peint sur les murs des églises, dans les cimetières d’Europe du Nord, sur les murs extérieurs des cloîtres, les charniers, les ossuaires. Au-dessus ou au-dessous de l’illustration sont peints des vers par lesquels la mort s’adresse à la victime, souvent sur un ton sarcastique et empreint de cynisme. Il est diffusé à travers l’Europe par les textes poétiques colportés par les troupes de théâtre de rues.
Effectivement, hier, au sol, des pierres tombales étaient incrustées dans le sol. D’un côté, une tête de mort était gravée, suivie d’inscriptions pour la plupart illisibles à cause des passages répétés.
Voilà. Les choses sérieuses commencent !
Enfin, pas trop sérieuses en fait car la pente est douce. Encore douce, devrais-je dire ?
De gros rochers, détachés de la montagne depuis fort longtemps, se sont presque fait absorber par la végétation.
En arrivant près de Vacarisc di Fuori, Le ciel semble vouloir s’éclaircir. Nous avons déjà repéré quelques tâches fugaces bleues.
Quatre voitures sont garées là. Deux des chalets sont occupés.
Nous abandonnons le confort de la piste forestière à l’Alpe Vacarisc. Le sentier part à l’assaut de la pente, sans détour. Sur l’alpage, un bâtiment et des fromagers qui s’activent, vêtus de tabliers et couvre-chefs blancs. Une pancarte annonce la vente de fromage. Nous nous demandons d’où vient le lait, car ici, point de bétail.
Les premiers rayons de soleil arrivent, timidement.
Nous évoluons dans un pâturage boisé ou une forêt clairsemée, c’est selon. C’est un peu comme l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Les mélèzes (larice en italien) sont omniprésents.
Les maisons dans la vallée se rétrécissent de plus en plus.
Arrivés à Corte di Mezzo, nous profitons d’une pierre près de l’étable-chalet pour enlever une première couche.
Sur notre droite, derrière nous, le Lago del Sambuco et son barrage. Une bonne partie des randonneurs rencontrés ce matin à l’arrêt de bus de Fusio ont pris cette direction.
A Corte di Sasso, le prochain alpage, le berger finit de nettoyer la trayeuse et rince les seaux de lait à grande eau. D’un récipient particulièrement volumineux sort un tuyau, noir rayé de bleu, celui-là même que nous avons longé tout au long de notre montée depuis Corte di Mezzo. Euréka ! Le lait arrive chez le fromager via un tuyau. Smart, non ?
Zoom sur la petite étable, posée à la cassure du replat.
Nous continuons la montée dans le pâturage et dépassons les 2000 mètres d’altitude. Puis la pente s’adoucit et nous commençons à suivre le flanc de la montagne – Cima di Sassalto – qui culmine à 2428 mètres.
C’est alors que le sentier se divise pour laisser place à un acquedotto, ou une bisse en français de Suisse. Son nom ? Acquedotto di Canaa.
Parfois, le partage est équitable, comme ci-dessus.
D’autre fois, le randonneur doit louvoyer pour trouver un passage, enjambant le ru par la droite ou par la gauche.
L’Acquedotto di Canaa, long d’environ 1500 mètres, fût utilisé jusqu’en 1956-1957. Il acheminait l’eau d’un torrent – Ri du Vacarisc – vers les alpages pour irriguer les cultures et abreuver les bêtes. Abandonné, certaines sections furent même ensevelies au fil du temps.
En 1997, une association, APAV (Associazione per la protezione del Patrimonio Artistico e Architettonico di Valmaggia), investit environ 175’000 CHF pour sa restauration. Les pierres formant le canal sont excavées si nécessaire, complétées si manquantes et la bisse remise en état. Le résultat est magnifique.
Lorsque la bisse se termine, le terrain s’aplanit et s’ouvre sur un petit plateau où coule paisiblement le Ri du Vacarisc.
Vu le manque de déclivité, le ri prend son temps, se divisant à loisir, serpentant en larges méandres dans le pré.
Des voix s’élèvent. Nous ne voyons personnes. En cherchant bien, nous repérons des grimpeurs, au pied de la falaise un peu rouge, à gauche du randonneur solitaire.
Un des grimpeurs est accroché sur la paroi. On entend des coups de marteau et même une perceuse. Peut-être sont-ils en train d’équiper une voie ?
En repartant, nous nous arrêtons quelques minutes près d’une petite étable de pierre, le temps de croquer une Clif Bar.
Nous revenons sur nos pas car, si notre premier objectif de la journée – l’Acquedotto di Canaa – a été atteint, il nous reste le second – le Lago di Mognòla.
Juste avant le contour où normalement nous devrions l’apercevoir, un chalet, ouvert mais désert. Impossible de savoir, comme ça, sans rencontrer personne, s’il s’agit d’un refuge ou d’un chalet privé. Nous sommes à Corte della Sassina.
Quelques mètres plus loin, le lac se dévoile.
Mais pour qu’il puisse être capturé par nos objectifs dans son ensemble, nous devons monter un peu. Quitte à cheminer sur un sentier bleu et blanc, réservé aux pros de la randonnée alpine. Cela dit, hormis la couleur, sur cette section, le terrain est le même qu’un sentier rouge et blanc.
Stefano s’assure que j’ai effectivement vu le marquage.
Voici le Lago di Mognòla.
Les points blancs, au fond, au bord du lac, sont des tentes. Nous ne serons donc pas seuls, mais cela n’est guère surprenant : n’oublions pas qu’aujourd’hui, c’est dimanche.
Etant un petit peu sauvages, nous parcourons les rives du lac à la recherche d’un endroit relativement tranquille. Une étable semble pouvoir faire l’affaire, jusqu’à ce que nous nous rendions compte qu’elle est ouverte et occupée. Nous nous rabattons sur un rocher qui la surplombe.
De notre perchoir, la vue est incroyable. Nous n’échangerions pas notre sandwich contre un repas 5 plats d’un restaurant 5 étoiles. Même si ce dernier était servi sur une terrasse.
La suite de la balade doit nous faire rentrer par un autre sentier. Celui-ci part dans l’éboulis, à gauche de la photo ci-dessus.
Nous en parcourons environ 1200 mètres avant que le sentier ne se rétrécisse brutalement. Anodin, s’il s’agissait de traverser un pré. Plus compliqué lorsqu’il borde une pente caillouteuse, dont la déclivité est proche de 80 degrés. On ne voit même pas la vallée. Stefano franchit un virage puis s’arrête. Je ne suis pas à l’aise, se confie-t-il. Sans y penser une seconde fois, nous faisons demi-tour.
Ce qui nous permet de longer le bord ouest du lac et d’admirer le contraste de l’eau, de l’herbe et de la pierre.
Du lac s’écoule un torrent qui s’interrompt très vite par une jolie chute d’eau.
Comble du luxe, un pont enjambe le torrent.
Les vingt minutes de la descente vers Corte Mognòla nous semblent interminables. Les genoux sont soumis à rude épreuve. Bienvenue au Tessin, lance en rigolant Stefano.
A Corte Mognòla, nous admirons les toits de pierre.
Le rumex a envahi le pâturage. Nous doutons que les bêtes viennent encore paître en ces lieux. Cette petite maison – cascina della memoria – est ouverte au public. Laissée intacte, quelques photos illustrent la vie paysanne d’autrefois. Des objets d’époque sont également exposés.
Les vingt minutes suivantes resteront également gravées dans le cartilage de nos genoux. C’est à ce moment là qu’ils se rendent compte que ça ne va pas être de la rigolade mais du sérieux. Heureusement, nos bâtons permettent de les soulager de quelques kilos tous les deux à trois pas.
Rien de particulier concernant Corte dell’Orvi. L’étable semble avoir été rénovée, un drapeau suisse flotte. Stefano est attirée par l’eau de la fontaine mais en l’absence d’indication quant à la potabilité de l’eau (même si potabilité n’est pas dans Le Larousse, ce mot semble exister), je lui déconseille fortement (comprenez je lui interdis) d’en consommer.
Nous arrivons à Vacarisc di Fuori à 16h40. Un petit pont nous permet de traverser sans encombre le Ri di Vacarisc, celui-là même dont l’eau, plus haut, est captée puis acheminée par l’Acquedotto di Canaa.
Nous retrouvons la piste forestière de ce matin. Chemin faisant, nous admirons les étables rénovées
Un monsieur, salué ce matin, nous salue en retour. Il semble ne pas avoir bougé de la journée, tranquillement installé dans son jardin. Très vite Stefano commence à parler en patois. Les langues se délient. L’oreille attentive, je tente de suivre le sens global de la conversation grâce à un ou deux mots, captés par-ci par-là et interprétés correctement.
Arrivés à Mogno, nous refaisons un tour par l’église. La lumière n’est pas meilleure que ce matin et les touristes plus nombreux.
Près de l’église, un jardinier amoureux s’est fait plaisir.
Sur le parking, nos amis de Poitiers sont partis.
Nous sommes ravis de notre première journée d’acclimatation. Stefano a tenu sa promesse : le dénivelé a été raisonnable (1174 mètres) et la distance aussi (un peu plus de 18 km). Malgré le ciel un peu nuageux, nous avons vu de magnifiques paysages, très différents de ceux dont nous avons l’habitude. Côté terrain, là aussi, rien de comparable avec celui que nous arpentons dans le Jura.
La dizaine de jours qui va suivre promet de belles surprises.
Flore du jour
Itinéraire du billet
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Autoportraits du jour
Sur le plateau où s’écoule le Ri du Vacarisc.
Sur notre rocher de pique-nique, surplombant le Lago di Mognòla.
Au même endroit.
A Corte Mognòla.