Nous avons été mis sur la piste de La Soldanelle par un courriel reçu ce matin. Dans ce mail, une localisation approximative, une date (1927) et un nom. Il n’en fallait pas plus pour piquer notre curiosité. Grâce à la gentillesse de Claude Karlen, nous pouvons maintenant vous conter l’histoire de La Soldanelle.
Nous sommes déjà samedi. La semaine a filé à la vitesse grand « V ». Je commence le week-end par mon activité favorite dite « Traine-Au-Lit » et lorsque je descends, une heure après que Stefano se soit levé, il m’accueille par ces mots : on a reçu un courriel à propos d’un chalet que nous ne connaissons pas, appelé La Soldanelle, à priori situé à proximité du Grand Croset Dessus.
Il me montre ensuite la zone en question sur la carte Swisstopo. Nous localisons facilement le petit chalet sans nom que nous connaissons bien. Stefano remonte dans le temps et affiche la carte telle que dessinée en 1936. Le petit chalet en question n’y est plus mais un carré noir, non loin, semble en matérialiser un autre. Quoi que. Il est très proche d’un point marquant une altitude. Les traits sont épais et nous avons un doute. Doute qui ne peut être levé que d’une seule façon : en allant voir de près. Stefano modère mon enthousiasme en ajoutant : mais pas forcément aujourd’hui.
Cependant, lorsqu’il prend la direction du col du Marchairuz, qu’il se gare sur le parking boueux à souhait de la Fontaine Froide, mon espoir renaît.
Un irréductible skieur de fond arrive, huffant et puffant, alors que nous terminons de nous préparer. Pourquoi irréductible ? Car le plateau ressemble à ça.
Certes, la neige recouvre encore en grande partie la piste de ski de fond, qui n’a pas été tracée depuis… longtemps. Elles est maculée de poussière, rose par endroit du sable du Sahara et trouée par des traces de pas. Il faut vraiment avoir envie !
Nous, nous sommes à pied. Avec des bâtons, pour éventuellement consolider notre équilibre, lors de la marche sur la neige. Comme nous longeons la route (enfin la piste de ski de fond), notre premier chalet est le Pré de Denens.
Nous sommes en mode « recherche ». Notre excitation est palpable et nous anticipons le plaisir d’explorer et qui sait, peut-être de trouver ce petit refuge. Certes, nous ne pouvons comparer un canyon au milieu du désert et la recherche d’une ruine ou d’un panneau de pétroglyphes avec cette zone du Jura, cartographiée depuis des décennies, et la recherche d’un chalet pour lequel nous avons déjà une bonne idée de l’emplacement. N’empêche !
Le chalet des Combes.
Nous continuons dans la combe et arrivons à proximité du chalet du Grand Croset Dessus.
Stefano jette un coup d’œil sur son GPS et s’engage dans la pente.
Très vite, nous apercevons quelque chose. Un pan de mur. Incliné. Un toit. La Soldanelle !
De face, on ne se rend pas vraiment compte de l’état du refuge.
Dans le courriel reçu ce matin, la dame mentionne « cette cabane en rondin construite vers 1927 sur une falaise ». Effectivement. Un quart de sa surface est dans le vide. Une structure métallique existe mais plus rien ne s’appuie dessus.
Nous nous demandons où était l’entrée. Par élimination, nous comprenons qu’elle était sur la façade au-dessus de la falaise. Un petit coup d’œil prudent à l’intérieur confirme notre théorie.
Nous sommes ravis. 12h52. Mission accomplie !
Il nous reste 5 heures de rando, au moins. Nous nous retournons une dernière fois, imprimons l’image un peu désolante de La Soldanelle dans notre mémoire et partons vers de nouveaux horizons (enfin, … pas vraiment nouveaux, mais…).
Et en l’occurrence, le Mont Tendre.
L’Églantier.
Alors que l’excitation tombe, nous devenons plus sensibles à l’environnement extérieur. Damned, le ciel s’est couvert ! Mais… il y a eu tromperie. Nous nous attendions à du grand beau temps.
Nous passons le Croset au Boucher,
et laissons les 3 jolies citernes entourées de pierre sèche tout en pensant à notre pause de midi.
Nous désignons La Racine comme heureuse gagnante de notre choix. Enfin, si personne n’a eu la même idée !
Bingo ! Elle est tout à nous.
Il y a même une table et ses bancs qui nous attendent. La table est protégé par un bout de tôle ondulée mais les bancs attenants ont été laissés à l’air libre.
Au refuge Bon Accueil, nous abandonnons le sentier et coupons pour arriver au chalet de Pierre.
La neige devient omniprésente. Les nuages aussi. Nous passons le col, là où le mur interminable trace une ligne droite depuis le chalet de Yens jusqu’au Risel s’arrêtant quelques mètres pour laisser passer la route. Ce mur, nous l’appelons souvent La Grande Muraille de Chine.
Le point géodésique du sommet du Mont Tendre se matérialise et, effarés, nous réalisons qu’il est pris d’assaut. D’habitude, lorsque nous parlons de « monde », les personnes se compte sur les doigts d’une main. Ici, nos deux paires de pieds et de mains ne suffiraient pas.
On dirait une fourmilière. Sans exagération aucune.
En nous approchant, le manque de couleur dans les tenues nous laisse penser à des uniformes. Nous voyons les silhouettes se mettre en route et venir vers nous, en colonne. Ce sont des militaires. Des Suisses-Allemands. Leurs doigts sont rouges du froid. Ils sont bien chargés, le fusil d’assaut qui à la main, qui en bandoulière. Une fille parmi la meute de garçons. Elle est sans sac, alors qu’un garçon porte deux sacs. Bravo !
Nous nous réjouissons de trouver le sommet désert. Mais en y arrivant c’est la déconvenue. D’autres militaires arrivent. Des Romands cette fois. C’est l’heure de la photo. Ou plutôt des photos. Une sans masque, et une, plus politiquement correcte, avec le masque.
Eux ont des gants. Lorsque nous leur faisons remarquer que les Suisses-Allemands n’en avaient pas, un lance « ils sont plus résistants », tandis qu’un autre, hilare, ajoute « parce que ce sont des cons ! ».
Après quelques minutes passées à prendre des photos avec les mobiles des uns et des autres, ils forment une colonne et se mettent en route.
Et voilà le travail ! Seuls. Pour quelques secondes. Deux randonneurs arrivent et appuient leur sac sur les montants du point géodésique. Nous attendons patients pendant quelques minutes qu’ils bougent, mais que nenni. Ils sonnent ainsi l’heure de notre départ vers le chalet de Yens.
Les sapins sont mi-figue, mi-raisin.
Au chalet de Yens, une troisième colonne de militaires se regroupe. Elle choisit de monter hors du sentier, par la pente bien raide, directement au-dessous du point géodésique. Les militaires s’éparpillent dans la pente. Certains sont en haut alors que d’autres n’en sont même pas au quart, en train de pester.
Bientôt, ici, les jonquilles jauniront la prairie.
La cabane du Servan.
Il est 4 heures et nous avons encore deux belles heures devant nous. Nous passons donc la crête pour aller vers La Pivette, puis Le Sorcier et terminer enfin par L’Aurore.
Nous saluons l’arbre que notre ami Dwight Peck a désigné comme étant « l’arbre le plus moche de Suisse ».
Parce que la faim nous tenaille, nous montons vers la cabane du CAS, espérant y trouver un coin pour nous asseoir. Mais elle est ouverte et une bonne odeur de bois vert embaume les alentours. Un répulsif très efficace.
Pierre à Coutiau.
Nous rejoignons le sentier N° 5 et arrivons au Grand Cunay alors que le soleil descend doucement vers l’horizon.
Aux Monts de Bière Derrière, nous repassons de l’autre côté de la crête pour descendre vers le pré de Denens.
La boucle est presque bouclée.
Nous arrivons à la voiture un peu avant 18h30. C’est en nous installant sur les sièges que nous accusons la fatigue de la marche sur la neige.
Histoire de la Soldanelle
Quelques jours après avoir découvert ce refuge, j’envoie un email à Claude Karlen, fin connaisseur de la Vallée de Joux, pour partager notre découverte. Niaiseuse que je suis d’avoir imaginé une seconde que Claude Karlen en ignorait l’existence ! Nous recevons bien vite une réponse avec un extrait de l’histoire de La Soldanelle. Et puis, un peu plus tard, le facteur nous livre une enveloppe cartonnée contenant le livre écrit par René Weibel – Sur les chemin des refuges forestiers, gracieusement offert par ce même Claude Karlen. Ce livre recense les refuges proches de la Vallée de Joux. Une mine d’informations ponctuée d’anecdotes savoureuses. Voici le résumé de l’histoire du refuge de La Soldanelle, tel que rédigé par Claude Karlen.
La Soldanelle
Cette cabane rustique fut construite vers les années 1927-1928 sur la falaise boisée dominant la montagne des Grands-Crosets-Dessus. Le coté couchant est abrupt et son accès difficile.
Construction en rondins avec la bénédiction, à l’époque, du garde forestier Eugène Capt (A cette époque on laissait les citoyens de la vallée de Joux construire une cabane en leur recommandant toutefois de laisser l’endroit propre en ordre !)Quelques ouvriers d’usine avaient uni leurs efforts pour édifier ce rustique abri. Ils s’offraient ainsi une modeste « résidence secondaire ! » Au prix de leur sueur et de sacrifices non
négligeables. A cette époque les jours de congé étaient rares seuls les samedis après midi et les dimanches permettaient d’accomplir cette construction qui se trouvait à deux heures de
marche de L’Orient. Ce « nid d’aigle » repose sur trois rails une partie surplombe le vide. On y accédait par l’entrée située au couchant par une galerie dominant la pente ; le panorama qui s’offrait à leurs yeux leur faisait découvrir un paysage de pâturages, de forêts avec en toile de fond la chaine du Risoud ceci sans voir aucun village, le vœu secret des initiateurs.Combien de retrouvailles en famille pendant ces années de bonheur ou chaque dimanche on montait à Soldanelle, même en hiver la piste était bien tracée il y avait affluence !
Mais ce bonheur partagé entre les amis de Soldanelle fut relativement court. La montagne ayant été vendue en 1936, les nouveaux propriétaires, une secte religieuse, surnommée « les
Cœurs Purs » ne voulurent plus la présence de ces braves gens sur leur propriété !Excommuniés sans autre forme de procès avec parait-il une indemnité dérisoire.
Voilà donc l’histoire un peu brève de la Soldanelle. Ce fut tout de même une belle aventure pour les anciens, aujourd’hui disparus… En mémoire de ce haut lieu voué à une lente agonie !
La Soldanelle en 1928. Cette photo est reproduite dans le livre de Monsieur René Weibel. Son auteur est inconnu. Je ne pense pas léser qui que ce soit en publiant cette photo.
Flore du jour
Eh oui, la section « Flore du jour » est de retour ! Vive le printemps…
Itinéraire du billet
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Autoportrait du jour
À La Soldanelle.
Au chalet du Mont Tendre.
Au Mont Tendre.
Pareil, avec une autre perspective.