Sur les bons conseils de Luana, nous avions réservé une excursion en zodiac sur la lagune du Jökulsárlón. Même dans nos rêves les plus fous, nous n’aurions pu imaginer de plus merveilleuse expérience. Tout fut parfait : notre accompagnateur, avide de partager ses connaissances, des icebergs fraichement détachés du glacier, une eau calme et, cerise sur le gâteau, l’observation de deux phoques.
Hier soir, en rentrant de notre randonnée vers Mosárjökull, Luana avait si mal à la tête qu’elle n’a même pas dîné et est partie directement se coucher un peu avant 19h. A minuit, après 5 heures de bon sommeil de randonneur, sa migraine s’était envolée. Fraîche et dispose, accoudée à la fenêtre, il lui a semblé voir une lueur inhabituelle dans le ciel. Forte de ses expériences en Norvège, armée de son téléphone, elle tente une photo.
Et même si un méchant lampadaire éclaire le devant de sa chambre, son téléphone ne ment pas : il y a bien là, devant elle, une aurore boréale ! Totalement impromptue et inespérée.
Elle attendra, patiente, que nous nous levions, deux heures plus tard, pour notre voyage nocturne habituel et inévitable, afin nous intercepter dans le couloir et nous montrer sa découverte. Wow… Notre première aurore boréale. Nous sommes sous le charme.
Voici le fruit de ses trois heures et plus passées devant la fenêtre.
Inutile de dire que ce matin, au réveil, elle est beaucoup moins vive que cette nuit. Mais la perspective de notre excursion en zodiac sur la lagune glaciaire de Jökulsárlón a vite fait de la booster.
Nous quittons Hof, ce petit village de quelques âmes, où vécut Þorsteinn « Tól » Gissurarson, un homme talentueux, tant par le verbe et l’écriture que par son habileté. Le « Tól » de son nom signifie tool (=outil). Habile forgeron, il fabriqua le verrou et les gonds de la porte de l’église du village. Eglise qui, d’ailleurs, fut la dernière église construite en tourbe. En 1884. A l’heure actuelle, il n’en reste plus que 6 dans tout le pays.
Pour certains de ces contemporains, il était doté de pouvoirs supranaturels qu’il dissimula. Son pied-bot fut attribué à la vengeance d’une géante dont il s’était moqué. Alors qu’il n’aurait été que le résultat d’arthrite rhumatismale. Il eut quatre filles dont les descendants vivent encore ici.
Il nous faut environ une trentaine de minutes pour rejoindre le parking en bordure du Jökulsárlón. Pendant que je vais discuter avec le personnel du tour operator Ice Lagoon, Stefano et Luana prennent un premier contact avec le lieu.
Nous voyons arriver Luana tout émue, les yeux brillants. J’ai vu un phoque, lance-t-elle d’une petite voix, encore incrédule. La journée démarre sous d’excellentes augures.
A 10h, nous sommes au bas de la rampe qui permet de rentrer dans la semi-remorque qui sert de base à Ice Lagoon. Entretemps, nous sommes allés ajouter une couche ou deux sur nos carcasses, en plus de la combinaison que nous devons enfiler.
Ils sont prêts, et c’est l’euphorie !
Nous sommes à peu près une vingtaine à monter dans le gros camion Scania, aménagé en bus.
Musique et lumières led changeant de couleur viennent ajouter un peu d’ambiance. C’est drôle et nous rions de bon cœur.
Des cosmonautes d’un nouveau genre… Deux zodiacs sont amarrés sur un ponton flottant. Nous serons donc une dizaine par bateau.
Devant, nos deux accompagnateurs. Eric et Julius. Eric est très extraverti et communicatif alors que Julius semble plus réservé. Les zodiacs débarquent les touristes de l’excursion qui vient de se terminer.
Nous serons avec Julius. Ainsi en a décidé le sort. En premier lieu, nous devons rejoindre le bord nord du lagon, celui bordé par le glacier, à quelques 8 km de là où nous sommes. Nous naviguerons à grande vitesse et Julius intime à tous l’ordre de rester assis coûte que coûte et de s’agripper aux cordes disposées sur les bords des boudins.
Le vent pique nos visages. Nous regardons avidement le glacier se rapprocher.
Julius coupe le moteur et laisse glisser le bateau. Une partie du glacier s’est détachée hier. Sceptique au début, il commence à accepter l’idée que tous les mois environs un bloc se détache. Comme l’affirment depuis longtemps ses collègues. Il nous confirme que la partie visible des icebergs que nous voyons flotter ne représente que 10% de la masse totale.
Puis vient l’explication de la formation des glaciers. Explication simple et limpide, qui découle du bon sens après réflexion. Nous n’y avions jamais vraiment réfléchi. Un glacier se forme par accumulation de neige qui n’a pas entièrement fondue et qui s’est transformée. Petit à petit, cet amas se tasse sous son propre poids. La pression exercée expulse l’air encore prisonnier de la neige et les flocons se soudent les uns aux autres. La neige devient alors glace. De nouvelles chutes de neige accentue la pression. Seule une petite partie de la neige de surface fond. Lorsqu’elle fond, l’eau pénètre la couche de neige et de glace. Lorsque la température redescend, la nuit, l’eau infiltrée gèle, ajoutant encore de la masse et de la solidité.
La glace que l’on voit ici flotte. Le lagon pénètre d’environ 14 km sous le glacier. Les stries noirâtres sont les souvenirs laissés par les éruptions volcaniques. C’est un peu comme les cernes annuels des arbres, où, par les différences dans l’épaisseur, il est possible de déterminer les années de sécheresse des autres années. Par intermittence, nous entendons des grondements. La glace bouge sans cesse, confirme Julius. Les forces en présence sont extraordinaires.
Tous les passagers écoutent religieusement.
Le prochain sujet est relatif à la couleur de la glace. Pourquoi est-elle bleue par endroit, et blanche ailleurs ? Tout est une question de densité, d’air, de tailles de cristaux et enfin de lumière. Plus la glace est compressée, moins elle contient de bulles d’air, plus les cristaux sont grands et plus elle absorbe les rayons verts, oranges, jaunes et rouges de la lumière, ne laissant que les bleus et les violets au passage. La glace blanche est également celle qui a passé le plus de temps au soleil.
Nous écarquillons nos yeux. Nous vivons un moment unique. Le temps s’envole. Julius dirige le bateau vers quelques icebergs, ceux fraichement détachés du glacier.
Luana repère une tache noire sur un bloc de glace flottant. Elle tend le bras. Un phoque s’exclame-t-elle. Julius coupe le moteur et nous glissons doucement vers lui.
Il repose tranquillement sur le ventre tel un culbuto. Nous jurons qu’il sourit. Et qu’il nous fait coucou avec sa nageoire. Nous avons de la peine à imaginer l’effort il a dû fournir pour se hisser sur son perchoir.
Nous tournons maintenant autour des derniers nés. La couleur bleue est intense. Nous avons de la chance, affirme Julius. Hier encore, ils étaient agglutinés près de l’endroit où ils se sont détachés et nous ne pouvions les approcher. Cherchant encore leur équilibre, ils pouvaient se renverser à tout instant. Et lorsqu’un des bateaux concurrents s’est approché, nous avons tous retenus notre souffle. Des cowboys, ajoute-t-il, en haussant les épaules.
Voici un second phoque, pour la plus grande joie de Luana.
Ces icebergs ont basculé. Les traits verticaux ne sont autres que les couches de neige. L’eau sape la base.
A la question : les icebergs fondent-ils par le bas ou par le haut, je réponds par le bas. Exact. Et lorsque le volume immergé ne représente plus les 90% de la masse, l’iceberg culbute, afin de trouver un autre équilibre.
Celui-ci ressemble à un monstre marin.
Julius remet les gaz et nous nous éloignons de ce lieu enchanteur.
Nous embarquons dans le camion pour les quelques centaines de mètres qui nous séparent du parking. C’est un investissement que nous avons fait pour plus tard, nous dit Julius. Ils espèrent obtenir une license touristique où un camion 4×4 serait un atout. Les licenses s’obtiennent d’année en année, et chaque année c’est l’incertitude. D’autant que, semble-t-il, les attributions sont un peu politisées. Mieux vaut avoir un bon réseau.
Autoportraits du lieu
Ah, Stefano a sorti le bonnet !!!!
Dans le camion Scania. Nous nous sommes installés sur la dernière banque, au fond.
Avant de prendre le bateau. Pstt, vous avez vu les yeux de Luana… Ils sont encore plein du souvenir du phoque !
Sur le bateau…