La destination du jour est un site appelé Fortress Ruin. Il s’agit d’un bel ensemble de ruines dont un mur percé de plusieurs ouvertures, qui ressemblent à des meurtrières.
Le Grand Gulch… Pour nous, ce nom est synonyme d’aventure et de merveilles. Un canyon long de 80 km, ayant été occupé, des générations durant, par les Ancestral Puebloans qui y ont laissé moult kivas, greniers, habitations et dessins (pictogrammes et pétroglyphes). Nous n’avons jamais eu l’occasion d’y passer une nuit mais je ne désespère pas car l’expérience doit être intense et mémorable.
Levés à 5h30 et partis un peu avant 7 heures, nous arrivons au parking vers 8h30 après 72 km de route et 15 km de piste. Pas de surprise : le ciel est bleu Utah et il fait un petit 0°.
Le GPS est prêt. Nous pouvons partir.
Mais où sommes-nous donc ? Nous sommes à la place de parking, le safe spot comme nous l’appelons, où nous laissons habituellement la voiture pour rejoindre, à pied, le Government Trail. Plus loin la piste devient chaotique et inadaptée pour une voiture de ville.
Government Trail… J’entends déjà des lecteurs s’exclamer : « Encore ! »
Oui, ben quoi, encore, oui. Le Government Trail est le moyen le plus court (tout est relatif) pour rejoindre le tiers supérieur du Grand Gulch. Quand je dis le plus court, je parle de temps, par forcément de distance. De là où nous nous sommes garés, il nous faut marcher près de 6 km pour rejoindre le bord du rim. Mais ce sont 6 km de plat, que nous couvrons en 1h10. Descendre par Polly’s Canyon, ou par Bullet Canyon ou encore par Kane Gulch nous prendrait au moins trois fois plus de temps.
Et ces 6 km de plat nous permettent de nous réjouir à l’avance de ce que nous allons voir.
Entre ces montagnes et nous, un canyon infranchissable : le Grand Gulch. Nous imaginons souvent la réaction des pionniers mormons, qui, croyant traverser un plateau immense se sont retrouvés au bord du vide.
Stefano me raconte le livre qu’il est en train de lire : The Guardians, de John Grisham. Sans nous en rendre compte, nous arrivons au départ « officiel » du Government Trail. C’est le petit rabiot que nous nous offrons, afin de ne pas abîmer la voiture.
Sans surprise, le réservoir est à sec.
Sur le registre des entrées, le dernier passage date de deux jours et est signé par le Ranger Blaine. Très certainement une tournée d’inspection.
A 9h50, nous sommes au bord du rim, prêts à descendre dans le Grand Gulch.
En face, Polly’s Island, un îlot de rocher isolé, sur lequel est niché, sur le dernier ledge, un bel ensemble de ruines.
Thierry, tu nous prêtes ton drone ?
Aujourd’hui, point de procrastination : nous allons prendre le temps d’aller voir des pétroglyphes, visite que nous remettons toujours au retour et que nous n’avons évidemment jamais eu le temps de faire. Ils sont là, quelque part.
Même très « délavés » (c’est la traduction du terme anglais utilisé dans ce cas – faded), les anthropomorphes sont très intéressants car représentés avec des styles bien distincts .
Dix minutes plus tard, nous sommes en bas.
Big Man Panel est sur la droite, upstream (vers la source). Nous, nous allons aller sur la gauche, downstream, vers là où le Grand Gulch se jette dans la San Juan River. Ceci bien sûr après un petit détour par Slab Ruin, et ce que nous appelons maintenant le Vaughn Panel.
C’est à Slab Ruin que nous avions rencontré Vaughn, un guide très connu de la région. Il nous avait montré le chemin pour aller voir un joli panneau, mais faute de temps nous étions passés tout droit : il nous fallait encore sortir du canyon et remonter à la voiture. Et comme ce panneau n’a pas de nom, pour nous, c’est le Vaughn Panel. Nous avons toujours en tête de « louer » un jour les services de Vaughn, (Far Out Expeditions) afin qu’il nous montre des endroits que peu connaissent.
Nous remontons quelques instants le wash pour contourner Polly’s Island et la laisser sur notre gauche.
Comment les natives ont réussi à monter et surtout à s’installer sur ce rocher reste un mystère. Nous en avons fait le tour la dernière fois et même si nous avons éventuellement trouvé un moyen de monter sur le premier voire le second ledge, l’endroit où les bâtiments ont été construits est inaccessible.
Slab Ruin est là, quelque part. Lors de notre première venue, c’est grâce au faint trail que nous avons pu la trouver.
Devant, quelques pétroglyphes. Vieux, si l’on en croit la couche de vernis qui les a recouverts.
Le site se niche derrière un rocher plat (ou slab, en anglais), tombé de la falaise, qui forme de manière naturelle une alcôve.
Deux petits greniers se cachent au fond. Sur la face interne du rocher, des mains. En haut, des empreintes.
Plus bas, peut-être à base d’empreintes, les mains ont été stylisées. La matière utilisée ressemble à un enduit.
Sur un autre petit grenier, sur le mortier qui recouvre un pan de mur, des dessins réalisés alors que la boue n’était pas encore sèche. Vaughn nous avait dit que c’était des motifs de sandales.
La vue depuis Slab Ruin.
Nous repartons en quête du Vaughn Panel. Comme nous savons que nous devons nous frayer un chemin au travers de buissons hostiles serrés les uns contre autres, nous mettons nos jambes de pantalons. Ce qui nous permet de nous mettre en mode bulldozer, mais même comme ça, la progression n’est pas évidente.
Très vite nous réalisons que nous ne pourrons nous approcher des pétroglyphes : ils sont en hauteur et monter sur le rocher n’est pas possible. Il manque quarante centimètres et un savoir-faire que je n’ai pas. Stefano me dit qu’avec un de ses frères ça n’aurait pas été un problème : ils avaient l’habitude de s’entre-aider pour monter sur les cerisiers.
Dommage, parce que le panneau est magnifique.
Allez Thierry, prête nous ton drone !
Il est presque 11h30 lorsque nous rejoignons le wash, après avoir fait le tour de Polly’s Island. D’après les informations glanés ici et là, le site de Fortress Ruin n’est pas loin, peut-être à 30 minutes de marche.
Mais puisque nous ne sommes jamais allés de ce côté-ci, nous prenons le temps pour explorer les replats.
Je disais tout à l’heure que des générations de natives avaient occupé les lieux. Ici, par exemple, des impacts de boules de boue.
Tout près, une magnifique représentation de cerfs : monochrome, certes, mais magnifique.
Là, Stefano pointe du doigt des caghez (crottes) de quelque chose : lapin ou un peu plus gros.
Cottonwood trees. Les feuilles ne sont pas encore tombées, même si elles sont mortes !
Une petite demi-heure et un méandre plus tard, nous arrivons en vue de Fortress Ruin.
Le nom du site, Fortress Ruin, vient sans doute de ce mur, visible sur la photo ci-dessus, mur percé d’une série d’ouverture, comme les meurtrières d’une muraille.
Le site est à moitié à l’ombre, à moitié au soleil. Notre tache de photographe ne va pas être facile.
Commençons par des détails…. Comme ces cailloux insérés dans le mortier pour le consolider mais également pour embellir l’ensemble.
Hein que c’est joli ? On voit encore les traces des doigts ayant malaxé la boue.
Derrière la forteresse.
Une pièce d’habitation, si l’on en croit le mur noirci de suie.
Il y a également un kiva, dont les murs sont encore recouverts d’enduit.
Enfin, ce petit grenier, collé à l’alcôve.
Sachant que nous allons repasser par là un peu plus tard, sur le chemin de retour, nous ne gaspillons pas tous nos pixels et en gardons quelques millions en réserve.
Nous ne nous contentons pas de suivre le wash. Nous nous rapprochons des falaises lorsqu’il s’élargit, dans l’espoir de trouver quelques pétroglyphes ou mieux, quelques petits greniers.
La température monte et descend, au gré des méandres. Certains endroits, à l’abri du soleil, sont froids. Au soleil, par contre, il fait bon.
Quelques mains, trouvés sur une paroi à l’ombre, sur un replat au dessus du lit du wash.
Puis, à la sortie d’un méandre, sur un ledge, inaccessibles, une série de construction en excellent état de conservation. C’est le site de Round House Ruin.
Voile le pourquoi de Round House.
Le ledge est occupé sur près de 300 mètres. Round House est à l’extrémité ouest. Au centre, des petits greniers encore intacts.
Côté ouest, accéder au ledge est impossible. Côté est, c’est faisable mais il y a un mur plus un rétrécissement du legde qui rendent le passage très périlleux. Nous n’essayons même pas. Si ces ruines sont encore intactes c’est aussi parce que leur accès est difficile.
Nous nous promettons de revenir ici un jour, plus tôt ou plus tard dans la journée, afin d’avoir une meilleure lumière.
13h30. Nous sommes partis depuis 5 heures. La nuit tombant à 17h30, il nous faut penser au retour, d’autant que nous avons prévu un arrêt à Fortress Ruin, des fois que la lumière soit meilleure.
Nous suivons un faint trail qui grimpe hors wash pour aller explorer un replat et surtout les abords de la falaise. Dans le Grand Gulch, un faint trail peut mener à deux choses bien différentes : soit une place idéale pour le camping, soit à des pétroglyphes ou des ruines. Plusieurs fois, au cours de notre randonnée du jour, nous sommes tombés sur des emplacements de camping. Mais là, quelques pétroglyphes justifient le sentier.
Ils sont vieux, mais nous ne faisons jamais la fine bouche.
Ceux-ci sont presque indistincts.
Retour dans le wash, où, même si le sol est meuble, la marche reste plus aisée.
Nous voici de retour sur le site de Fortress Ruin. Et la bonne nouvelle est que la lumière est meilleure, même si le ciel est trop bleu (sans filtre polarisant, sans rien).
Joli petit grenier dont les côtés de l’ouverture sont incrustés de petits cailloux.
Le mur, percé de meurtrières, ou feritoie en italien. Car, comme dit Stefano, nous les Français, on commet des meurtres alors que les Italiens ne cherchent qu’à blesser (ferire = blesser). Tout est une question de nuances…
Là, nous avons deux greniers jumeaux, dont les entrées sont opposées.
De celui-ci, il ne reste pas grand chose. Il a été construit sur la base d’une ossature de bois, sur lequel a été apposée de la boue : c’est la technique dite du jacal.
Il est 16h15 et il est temps de dire au revoir à Fortress Ruin.
Nous retrouvons facilement le départ du sentier qui remonte sur le bord du rim. Il a été question un moment de remonter par Polly’s Canyon mais ce sera pour une autre fois, car il ne nous reste plus qu’une heure avant le coucher du soleil. Tant pis pour la boucle.
La première montée du jour, si on ne compte pas les sorties de wash.
Après avoir pris un peu de hauteur, nous remarquons, pour la première fois, sur le rocher de Polly’s Island, sur le deuxième ou troisième ledge, un petit grenier.
Presque en haut, au niveau où se trouvent les premiers pétroglyphes de ce matin.
Nous arrivons à la voiture avec les derniers rayons du soleil.
Nous préférons rejoindre la route goudronnée sans perdre de temps et nous arrêtons à la Kane Gulch Ranger Station pour enlever nos chaussures. Ce qui nous permet de nous remémorer la nuit passée sur le parking, un mois de février, la préparation de la soupe du soir en provenance de Norvège et le café du matin péniblement préparé pour cause de bouteille de gaz gelée. Nous avions dormi comme des bébés, confortablement installés à l’arrière de la voiture.
Comme hier, la rentrée sur Blanding se fait tout tranquillement. Car aujourd’hui, en plus des biches, il y a du bétail qui paît pas loin de la route.
Autoportraits du jour
Celui-ci a été pris à Fortress Ruin, à l’aller.
Et ce deuxième, depuis le bas, au retour.
À la sortie du canyon.