Partis ce matin la maison pour 10 jours de randonnée en étoile à partir d’Airolo, en Suisse italienne, nous nous arrêtons un peu avant le passage du col du Nufenen pour aller découvrir un petit lac alpin : le Distelsee. Nous poussons jusqu’à un petit refuge blotti contre la montagne avant de revenir sur nos pas et continuer jusqu’à notre destination finale.
A chaque fois que nous passons par le col du Nufenen, je montre à Stefano un sentier qui s’enfonce dans une vallée, cheminant tranquillement à flanc de montagne. Je ne sais où il va mais il m’a interpellé. Tout comme m’avait interpellé le sentier qui part d’Indian Garden et traverse Plateau Point pour s’arrêter en surplomb du Colorado.
Depuis quelques jours, je sais que nous allons nous arrêter dans la montée du col du Nufenen et y faire une randonnée. Histoire de couper le voyage en deux et surtout, surtout, de découvrir enfin ce sentier et de voir où il va, lorsqu’il disparaît derrière la montagne.
De la maison jusqu’à Airolo, il faut compter environ 3h30. Un peu plus, car, au bout du lac Léman, l’autoroute est en travaux, comme toujours. Nous avions fixé un départ à 7h30 et c’est à 7h35 que la voiture démarre. Sans surprise, l’autoroute A9 entre Sierre et Brigue est toujours en travaux et nous slalomons entre portions d’autoroute, de route cantonale et même de route secondaire. Commencée en 2004, elle sera terminée en 2026. Comme on dit en Suisse, y’a pas l’feu au laaaaaaaaaaaac. Quelques bonnes raisons justifient néanmoins cette lenteur : des oppositions, bien sûr, mais aussi des soucis d’ordre géologique, comme, par exemple, un tunnel percé dans une montagne qui se déplace de 10 cm par an. 35.3 km pour 4 milliards de francs suisses. Le prix au kilomètre de ce tronçon d’autoroute est effarant : un peu plus de 113 millions.
Arrivées à Brigue, nous suivons la rivière Rotten par la cantonale jusqu’à Ulrichen. La route traverse bled sur bled, et à peine avons-nous le temps d’accélérer qu’il faut déjà ralentir à l’entrée du prochain village. A Ulrichen, nous bifurquons sur la droite, pour nous enfoncer dans la Agenetal en direction du col, et nous arrêter enfin à Ladstafel, en contrebas des éoliennes, où l’on trouve un parking et un arrêt du car postal.
Nous nous préparons rapidement, ayant pris soin, en chargeant la voiture ce matin, de tout avoir sous la main. Nous traversons la route en vérifiant par deux fois qu’aucun bolide n’arrive, ni à gauche, ni à droite, ni à gauche, ni à droite. Un sentier étroit contourne une ancienne fortification déguisée en chalet.
Un vieux pont de pierre en arc nous permet d’enjamber l’Ägene, le petit torrent qui coule au fond de la vallée, celle-là même que suit le sentier.
Le pont en question date de 1761, d’après l’année gravée dans la roche, et était autrefois utilisé par les muletiers qui se rendaient à Domodossola en partant de Lucerne pour y vendre le Sbrinz, un fromage AOP à pâte dure originaire de Suisse centrale, que certains considèrent l’ancêtre du Parmesan.
Et voici le tout. Hormis la route qui passe entre le bloc de rocher et la petite maison, empruntée par des bus haletants, des voitures sportives pétaradantes et motos vrombissantes, le coin est idyllique. Ah, j’allais oublier. Le Tour de Suisse – grande compétition cycliste faisant partie du UCI World Tour, au même titre que le Tour de France – est passé par ici il y a quelques heures. En témoignent les poids lourds bariolés et rutilants aux couleurs des sponsors, des équipes et/ou des fabricants de matériel que nous avons croisés depuis Ulrichen. Sans parler des vans VW Europcar qui se succèdent.
Et là, je vous présente le « fameux » sentier. Celui que je regarde avec envie depuis quelques années et qui nourrit mon imaginaire.
En approchant du lieu-dit Lengtalstafel, un chalet. Ou plutôt une étable car tout autour pousse avec insistance du rumex, étouffant tout autre forme de végétation. Un petit peu de recherche quant à cette mauvaise herbe indique qu’elle s’épanouit sur des terrains « trop travaillés, tassés, fertilisés avec trop d’azote et de potasse ». Les deux derniers composants peuvent provenir soit d’engrais, soit des excréments et de l’urine du bétail.
A gauche, le lit de l’Ägene. Nous montons tout doucement. Dans mes souvenirs le sentier était plat, ou peu pentu. Là, il monte franchement. Mon cœur a un peu de peine à sortir de sa zone de confort artificielle de 42 bpm.
En prolongement de l’Ägene, le col Hinneri Sulzlicke. Au centre, la montagne Ritzhörner qui s’élève à 3107 mètres. Une destination prisée pour les amateurs de ski de randonnée.
Derrière nous, le col du Nufenen. Cette grande cicatrice qui barre la montagne n’est autre que la route que nous prendrons tout à l’heure pour arriver au terme de notre voyage. Les lignes électriques transportent le fruit des centrales hydraulique d’un canton à l’autre. Le barrage de Griessee et les 4 éoliennes à proximité ajoutent leur modeste charge.
La cacophonie des moteurs est masquée par le roulement de l’eau qui dévale le torrent. La magie s’opère. Le dépaysement s’installe. D’autant que, bientôt, nous allons quitter la vallée pour découvrir… on ne sait quoi.
Il y a d’abord un petit marécage, alimenté par l’Ägene, omniprésent, ainsi qu’une kyrielle de ruisseaux et rus qui dévalent les pentes d’un cirque.
Nous prenons un peu de hauteur. La rocaille envahit et supplante la prairie. Quelques plaques de neige subsistent.
Le paysage devient minéral. Là où elle pousse encore, l’herbe se fait rase et laisse la part belle à une mousse sombre. D’abord timides, les soldanelles se multiplient, jusqu’à recouvrir d’une jolie teinte violette des fractions entières de terrain.
Moi qui jubile lorsque j’en vois deux ou trois à La Dôle, je suis aux anges !
Un cairn ou ometto, à savoir « petit bonhomme » en italien, trône au milieu d’un petit plateau.
Et bientôt, le Distelsee est en vue.
Nous prenons un peu de hauteur pour pouvoir le cadrer dans son entier.
Ce qui nous amène à une jonction de sentier d’où nous voyons un petit refuge qui nous invite à la pause déjeuner. Je jurerais presque qu’il nous a fait un clin œil et un grand geste accueillant de la main.
De là, nous pouvons voir la vallée par laquelle nous sommes venus en voiture.
Comme à son habitude, Stefano mange debout, faisant le tour du propriétaire. L’arrière du chalet est lui aussi constitué d’un mur épais. Le refuge ne bougera pas, c’est certain. Il n’y a aucune crainte à avoir. Ce n’est pas comme une certaine montagne, entre Sierre et Brigue…
Nous revenons tranquillement sur nos pas.
Je me dis que si je trouve un coin sympa, je vais faire trempette dans le lac. En tout cas les pieds et les jambes, et plus si affinité.
Nous allons jusqu’au bout du lac, vers l’endroit où le torrent l’Ägene en sort. Et là, je trouve une petite plage de gravier où l’eau est claire et transparente. Un peu fraîche, certes. Du coup, la baignade est rapide mais néanmoins revigorante. Et pendant ce temps, Stefano se promène.
L’heure tourne. Une fois à destination, nous devrons encore nous installer et remplir le frigo. Ne traînons pas.
Nous retournons vers le coin des soldanelles.
Et encore des ometti.
Un fois le plateau derrière nous, la descente commence.
Une marmotte sonne l’alarme. Ses sifflements retentissent, amplifiés par l’écho. Elle y met beaucoup de cœur et d’énergie. A chaque fois qu’elle siffle, ses pattes avant, repliées sur le torse un peu à la manière d’un kangourou, tressautent. C’est hilarant à voir. D’autant plus que c’est parfaitement inutile.
Une petite cabane, perchée au-dessus du lit du torrent.
Voilà, y’a plus qu’à rejoindre la route.
Le barrage de Griessee et ses éoliennes, qui ont fait couler beaucoup d’encre. D’une part parce que c’est le parc éolien le plus élevé d’Europe et d’autre part car elles ne tiennent pas leur promesse – paraît-il – quant à la production attendue. Sans parler de l’atteinte au paysage, gravissime selon certains. Nous, nous les trouvons plutôt élégantes et nous aimons ce contraste nature contre technique. Le paysage avait de toute manière été massacré par la route et les lignes à haute tension.
Retour au petit pont de la route du Sbrinz, dont une grande partie des pierres est recouverte de lichen route du plus bel effet.
Une fois repartis, nous passons de l’autre côté du col et arrivons dans le Val Bedretto. Les camions du Tour de Suisse sont encore nombreux à rentrer. En passant près du village de All’Acqua, Stefano me montre des départs de sentier. À Fontana, la maison autrefois occupée par la famille du grand-oncle de Stefano, est toujours fermée et décrépit de plus en plus.
Nous arrivons à Airolo et trouvons facilement notre logement, situé à deux pas de l’Église, dont le clocher sonne les heures par deux fois et les demi-heures. Nous appréhendons un petit peu les 24 coups de minuit.
L’appartement est mignon tout plein. Il s’avère par ailleurs, que notre appartement jouxte la maison qui appartenait autrefois à la grande-tante de Stefano et il l’a reconnue pour y avoir passé une semaine de vacances en 1973. Que le monde est petit !
La Coop est deux rues plus bas et bien achalandée. Notre séjour à Airolo promet d’être parfait.
Itinéraire du jour
C’est ici et c’est chez Suisse Mobile.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Près du refuge sans nom.
Au-dessus du lac, près de l’ometto.