Une belle exploration des falaises avec comme point de départ Hidden Valley, à Moab. Notre acharnement porte ses fruits. Nous retrouvons finalement le joli panneau au grand cerf – nous avons failli abandonner – et nous dénichons un autre magnifique panneau de pétroglyphes, qui donne son nom au billet.
Nous avons quitté Monticello tôt ce matin pour transhumer à Moab où nous passerons deux nuits de nos vacances hivernales. L’agglomération de Moab s’agrandit d’année en année. Côté sud, la ville a gagné au moins 15 kilomètres depuis notre dernier passage. Des quartiers entiers se sont construits et il faut reconnaître que l’architecture est plutôt jolie. Nous n’osons pas penser où vont les déchets et d’où l’eau est pompée.
Stefano a mille et un tours, ou plutôt mille et un itinéraires (j’exagère à peine) dans son sac à malice. Mais entre les conditions hivernales, un ciel très gris, la durée réduite des jours, une voiture pas très adaptée à la conduite sur des pistes mouillées et surtout mon enthousiasme inconditionnel à l’idée de retourner à Hidden Valley, il a choisi… de me faire plaisir.
La première montée est la bienvenue et permet de chauffer nos vieilles carcasses.
Vu sur la « banlieue » sud de Moab, depuis le col. En bas, au centre, le parking. Nous y avons croisé quelques propriétaires de chiens. Pas mal, le coin pour aller balader Médor, non ?
Encore quelques mètres de montée avant d’arriver au bord du grand plateau de Hidden Valley.
Tadam ! Nous y sommes.
Aussi beau que dans mes souvenirs. Enfin presque. Mais où sont donc toutes les fiu-fiu violettes qui recouvraient une belle portion du pré ? Face à mon regard interrogateur et presque désespéré, Stefano lève les yeux au ciel et me rappelle que nous sommes en plein hiver, qu’avant-hier il neigeait, et que la température et l’ensoleillement ne sont pas propices à l’éclosion de fleurs.
Lors de notre première visite, nous avions sagement suivi la piste. Aujourd’hui, nous avons le temps et après nous être assurés qu’aucun panneau n’interdit de sortir du sentier, nous nous rapprochons des falaises. Peut-être aurons-nous la chance d’y faire une belle découverte ?
Nous explorons ainsi consciencieusement 600 mètres de falaises. Malgré le beau vernis noir qui recouvre la majeure partie du rocher, personne n’est venu exprimer son art.
Bredouilles, nous rejoignons la piste et traversons ainsi la seconde partie de Hidden Valley. Juste avant d’arriver à l’endroit où les hautes mesa viennent lécher la vallée, nous apercevons quelques traces non-naturelles sur le rocher.
Ce n’est pas grand chose, mais, nous, nous sommes contents.
Nous regardons l’horizon qui n’annonce rien de bon. Il neige sur les La Sal mountains. En contrepartie, le ciel est magnifique.
Nous sommes maintenant au pied d’un bloc de rocher qui ressemble à un sous-marin géant, tout près de sa proue. A moins que ce ne soit sa poupe. Difficile à déterminer.
Très vite, quelques dessins viennent égayer la monotonie des parois.
Dont quelques chèvres, aux sabots fendus.
Nous levons les yeux pour apercevoir, plus haut, d’autres biques.
Stefano n’hésite pas une demi-seconde à se hisser à leur hauteur. Mais comme à chaque fois, le manque de recul rend les prises de vue difficiles. Reste le plaisir d’avoir crapahuté.
Et surtout de s’être approché du joli cerf à l’imposante ramure ! Et c’est ainsi qu’un peu de googling vient compléter mon vocabulaire de mots inconnus, comme « merrains », « andouiller de massacre », « empaumures » et « épois ». Hum, andouiller de massacre, tout un programme… Aristote, il y a 2365 ans, décrivit les caractéristiques des bois de cerfs dans Historia Animalum.
Un peu plus loin, toujours sur le même pan de falaise, des pétroglyphes que nous avions déjà contemplés, mais que nous examinons une nouvelle fois avec le même plaisir.
La forme la plus atypique est très certainement la silhouette au ventre parfaitement rond qui encercle un anthropomorphe. Du cercle émergent une tête qui semble tirée d’une bande dessinée et des jambes aux genoux bien marqués. Très intrigant. Seuls les silhouettes de kokopellis sont habituellement représentées avec des genoux fléchis.
Quelques bêtes à corne viennent compléter le panneau.
Nous descendons en réalisant que, en fait, toute la longueur de la paroi a été utilisée. Il suffit d’être attentif. Alors, comme nous avons le temps, nous flânons, en restant actifs tout de même car la température n’est pas propice à l’oisiveté.
Isolés pour certains, groupés pour d’autres comme cette magnifique farandole de silhouettes, ils sont, pour certains, anciens et un peu affadis.
Nous, nous sommes bons spectateurs. Tout nous ravit.
Attardons-nous quelques minutes sur ce panneau et sur la densité et la variété de ses dessins. Sur la gauche, des formes enchevêtrées, des dessins en recouvrant d’autres, mais une belle suite de bêtes à corne. Elle commence au dessus du buisson, au centre, et monte à 30 degrés, vers la droite. Je dénombre onze bêtes, une douzième qui, par sa taille plus importante, pourrait être le leader.
Sur la droite, une autre suite de chèvres. Plus récente, car plus nette. D’un autre style aussi.
La différence dans la forme des chèvres suggère peut-être deux époques. Les 5 premières à gauches sont un peu moins précises que leurs consœurs de droite. Au-dessus, la succession de formes intriquées est assez inhabituelle.
Stefano qui joue à chat perché… Mais mais, qui est donc le chat ?
Il capture une scène de chasse, où l’issue paraît incertaine. M’est avis que le chasseur est rentré bredouille et qu’il s’est couché le ventre vide, s’il est rentré tout court…
Quelques mètres plus loin, un autre panneau.
Nous observons avec attention les sabots soigneusement représentés de la chèvre la plus élaborée. L’analogie avec l’empreinte du sabot laissée dans le sable est frappante.
Un même animal, différentes représentations. Dont une avec un corps arrondi, en lieu et place du rectangle habituel.
Quelques pas et une autre surprise.
Un peu plus malmenée par le temps et par les visiteurs, dont un a gravé son nom, en 1900.
Des scènes de chasse, de bagarre même. Peut-on parler de pénis dressés ? Une bête aux cornes extravagantes. Un cerf à la ramure biscornue. Une ribambelle de personnage – peut-être des kokopellis – sur la gauche, à moins que ce n’en soit qu’un seul, représenté en différentes phases de progression, telles des planches pour la préparation d’un dessin animé.
En contrebas, la piste de jeep, déserte aujourd’hui.
Nous retrouvons ce que j’avais qualifié plus haut de « succession de formes intriquées ». Sauf qu’ici, elles sont beaucoup plus finement dessinées. Motif pour le tissage de couverture ?
Encore une bagarre. Depuis notre visite à Canyons of the Ancients et plus précisément depuis la lecture de la disparition du village près de Castle rock, nous savons que les natives de l’époque n’avaient pas attendu les européens pour se faire la guerre.
Là aussi, une suite, mais plus mystérieuse. Des oiseaux ? Ce n’est pas la première fois que nous voyons ces formes et elles nous ont toujours déconcertés.
Et ça, c’est moi, blottie pour me mettre à l’abri du vent, profitant d’un rayon de soleil qui, s’il éclaire un peu, n’a pas le mérite de me réchauffer.
Plus nous approchons de la piste, plus les dessins sont abîmés. Grands traits verticaux ou horizontaux, début de mots hâtivement tracés. Autant nous « pardonnons » aux auteurs de graffitis du début du siècle passé, autant nous n’avons aucune indulgence à l’égard des autres, que nous traitons de tous les adjectifs possibles. Ce qui nous permet de réviser notre vocabulaire français, italien, frioulan et anglais-américain.
Nous sommes presque à l’extrémité inférieure du bathyscaphe.
Les chèvres règnent en maître.
Nous descendons de notre perchoir et faisons une incursion vers le sud, en traversant la piste de jeep. Il nous avait semblé voir quelque chose sur une paroi qui se révèle être, une photo au zoom plus tard, des coulées de pluie ayant strié parallèlement la roche, en une succession de traits verticaux, noirs, blancs et gris. Nous savons, pour l’avoir visité lors de notre visite précédente, qu’il y a une tour sur un niveau supérieur, difficilement accessible. Ce que je découvre par contre en réalisant ce billet c’est qu’il y en a une autre, plus à l’est, au même niveau. Dommage. Un petit coup d’œil s’imposait.
Nous croisons nos premières âmes de la journée, un couple avec un chien. Lui est en short et en tee shirt, en train de se couvrir d’une petite pelure d’oignon si fine qu’elle ne pourra que couper le vent. Pour ma part, j’ai enfilé toutes mes couches. La poche supérieure de mon sac pendouille lamentablement au-dessus de mon sac vide. Il me reste néanmoins ma couverture de survie toute neuve, achetée ce matin.
Nous revenons vers les blocs de rocher qui nous semblent plus prometteurs. Nous laissons néanmoins de la distance entre eux et nous et suivons la piste pour nous déporter au nord.
Pétroglyphes, pictogrammes ou ruines, nous, ce qui nous ravit, c’est avant tout ceci : ce que nous appelons emptiness. Une immensité sans limite qui laisse vagabonder l’imagination et où rien n’arrête le regard. La liberté absolue. Le sentiment d’être à notre place, deux poussières dans un monde qui va au-delà de la rotondité de notre planète bleue.
Nous suivons une vague trace qui nous amène au fond d’un petit canyon et nous permet de remonter, de l’autre côté, afin de nous approcher de falaises.
Le premier bloc de rocher est une belle illustration du vide absolu. Pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau, aurait écrit Jean de la Fontaine.
Mais soudain, au terme de notre nième virevolte, Stefano pointe du doigt une paroi rocheuse d’où se distinguent, sans ambiguïté aucune, des dessins qui n’ont rien de naturel.
Des mains, des pieds, des anthropomorphes tarabiscotés aux doigts démesurés. Un univers de formes fantasmagoriques.
Des serpents dressés et menaçants, et d’autres formes innovantes, rarement ou jamais vues.
L’œuvre maîtresse est, pour moi, un cervidé au corps rectangulaire, aux pattes raides et aux bois relativement modestes. C’est son cou gracile et sa fine tête qui lui donnent un air de personnage de dessin animé.
Voici une vue un peu plus globale. Le joli cerf est un peu en retrait.
D’autres dessins, tout aussi intéressants, sont en hauteur, un peu plus difficiles à capturer.
Nous nous remettons en route. Il nous reste encore un peu de temps, durant lequel nous espérons trouver notre grand cerf. En revenant vers notre point de départ, nous restons vigilants. Des fois qu’une surprise en cache une autre.
Comme ici, où je laisse à Stefano le plaisir de la non-découverte. Il faut qu’il le mérite, son burrito de ce soir !
Au pied d’un autre bathyscaphe, quelques dessins. Ces lignes reliées entre elles seraient des plans ou des cartes. Pas qu’ici d’ailleurs. Cette interprétation avait été donnée par un ranger, lors de notre visite du site V bar V.
Je suis en train de dire à Stefano qu’il n’est pas impossible que nous n’arrivions pas à localiser le grand cerf. L’endroit où nous nous trouvons ne me rappelle rien. Quelques mètres plus loin, son visage s’éclaire, son bras se tend, son doigt pointe un endroit de la falaise, orné… d’un grand cerf. Bingo. Le revoilà le coquin !
Un peu délavé, certes, surtout du côté de sa croupe, il reste néanmoins magistral. Tant par sa taille – je dirais 1.20 mètre de largeur – que par son design. Il est en effet doté d’oreilles, en plus de bois dont la simplicité est déroutante. Le cou est dans le prolongement du corps arrondi, plutôt qu’au-dessus. Les pattes sont raides, terminées par ces « fameux » sabots-empreintes.
Mission accomplie. Nous pouvons rentrer. De loin, un sentier, nous semble aller dans la bonne direction. Nous devons rejoindre Hidden Valley, vers l’est. Nous descendons, traversons un canyon et remontons vers le même sous-marin qu’à l’aller, restant néanmoins de l’autre côté, côté nord. Nous arrivons à ce qui nous semblait son extrémité mais qui s’avère n’être qu’un renflement. 300 mètres plus tard, nous rejoignons nos traces du matin.
Nous croisons quelques promeneurs, qui semblent être familiers de lieux. Peut-être la balade de fin de journée, entre le retour du bureau et le dîner.
Je me retourne une dernière fois car comme dit Stefano, nous ne savons pas quand nous pourrons revenir ici.
Adieu, Hidden Valley !
Ce soir, nous avons rendez-vous avec une couple d’amoureux de l’Ouest américain, co-auteur du blog Ouestusa.fr, qui fut et reste une énorme source d’inspiration pour Stefano. J’avais déjà eu le plaisir de partager un dîner avec eux alors qu’ils étaient de passage près de Nyon et là, ce soir, Stefano va faire leur connaissance.
Pour cause de Covid encore galopant en ces contrées, l’absence de port du masque et de distanciation sociale, nous ne dînons pas ensemble. Nous tombons par hasard sur un restaurant thaï dans une rue parallèle où l’atmosphère est conviviale et le green chicken curry nous rappelles des saveurs houstonniennes.
Nous nous retrouvons tous les quatre à la réception du Confort Suites, papotant de choses et d’autres. Dont une grosse mésaventure qu’ils ont vécu en début de séjour et de laquelle ils sont ressortis indemnes, avec une grosse frayeur et très certainement un peu plus sages. Ce qui n’est pas sans nous rappeler notre frayeur à Ding canyon.
Flore du jour
Autoportraits du jour
Quelque part le long des falaises.
Près de notre belle découverte, panneau qui est quelques fois référencé sous le nom de Behind the Rock.